À 25 ans, Miléna Babin lance son premier roman sous les yeux bienveillants de ses parents littéraires, Stéphane Dompierre et Véronique Marcotte. Les fantômes fument en cachette, c'est l'entrée dans le monde littéraire pour son auteure, et l'entrée dans le monde adulte pour ses personnages.

Il lui aura fallu plus de huit ans pour écrire ce premier roman, et c'est ce dont Miléna Babin est le plus fière. «C'est la première chose que j'ai terminée dans ma vie, dit-elle. J'ai commencé plein de projets, mais je n'avais jamais trouvé quelque chose qui me tenait assez à coeur pour le finir. J'ai vraiment le sentiment d'avoir enfin trouvé ma voie. À un moment donné, tu essaies un soulier et... Je sens que je vais faire une longue marche avec!»

Miléna Babin, d'origine gaspésienne, habite Québec, la toile de fond de Les fantômes fument en cachette, un roman d'une douce mélancolie teintée d'humour, basé sur un «triangle amoureux ambigu». Son personnage principal, Maeve, n'arrive pas à oublier la relation fusionnelle de son adolescence avec son amie Fred et son ex-amoureux, Loïc, alors qu'une nouvelle relation serait possible avec Max. Les fantômes du passé sont tenaces et, en effet, ils fument comme dans le titre, laissant des traces olfactives de leur présence... Maeve y est aussi accro qu'on peut l'être à la nicotine. La dépendance amoureuse est-elle aussi forte et toxique que la cigarette?

«Je n'ai jamais fait le parallèle entre les deux, c'est inconscient! Mais oui. C'est drôle, en fait. Je suis issue de la scène hardcore de Québec, et j'ai été pendant neuf ans dans le mouvement «straight edge», né dans les années 90 à New York. C'est un mouvement basé sur le pouvoir de la pensée positive. Pour être là-dedans, il ne faut pas prendre de drogue, d'alcool, de cigarette, il ne faut pas de sexe sans passion... Et j'ai fumé ma première cigarette l'été dernier. Je compte arrêter après le lancement de mon livre.»

Il y a des accents adolescents dans Les fantômes fument en cachette, traversé de multiples références musicales et littéraires; Guillaume Vigneault et Hubert Mingarelli côtoient The Kooks, Fift Hour Hero, The Strokes ou Damien Rice. Cette voix «ado», Miléna Babin y tenait, elle qui a commencé la rédaction de son roman en Ve secondaire. «Je vais toujours avoir un côté gamine, j'espère. Je trouve que c'est quelque chose de précieux. Écrire cette histoire-là a été une façon de tourner la page sur mon adolescence. Il y a des passages qui me font sourire. Ce souffle-là, je ne voulais pas le changer, je ne voulais pas que ça parte complètement, c'est important pour moi qu'on sente que le premier pas vient de l'adolescence. Car c'est aussi ce qui a donné cette histoire.»

Un petit pas pour la femme

Le parcours de Miléna Babin est typique de la quête échevelée de la vingtaine, avec quelques particularités étonnantes - on a du mal à croire qu'elle a pu être hardcore, avec son visage mutin. Une formation en chant jazz, deux ans de travail sans études qui lui a permis d'amasser un cashdown pour un condo avec son ex, avec qui les projets s'alignaient de façon traditionnelle: hypothèque, enfants peut-être.

C'est du passé maintenant, mais le roman lui est dédié. Miléna Babin termine un bac en langue française à l'Université Laval, où elle dirige la section culturelle du journal étudiant Impact Campus. Elle fait partie du blogue Nous sommes les populaires, qui l'a fait remarquer par Tristan Malavoy-Racine, celui qui dirige la collection Quai No 5 chez XYZ où est publié Les fantômes fument en cachette.

Mais ce premier roman n'aurait probablement pas vu le jour sans Stéphane Dompierre, son mentor, auteur des romans Un petit pas pour l'homme et Mal élevé. «C'est mon écrivain préféré, dit-elle. J'adore sa plume. Je suis une fille de dérision, j'ai un gros sens de l'humour. Je me souviens, quand j'ai lu son premier livre, j'étais dans un autobus, j'ai complètement oublié mon environnement et j'ai hurlé de rire. J'aime le rythme de ses livres, il va toujours droit au but.» Seule différence avec Dompierre: elle est beaucoup moins désabusée face à l'amour. «J'y crois! Je n'ai pas peur de l'engagement.»

L'audace de la groupie aura été positif. Elle a écrit à Dompierre pour lui demander conseil, il a tout fait pour la décourager, mais devant son insistance, il lui a recommandé l'aide de son amie Véronique Marcotte (Tout m'accuse). Finalement, Dompierre, Marcotte et Babin sont devenus de véritables chums. «Le lendemain de notre rencontre, je leur ai envoyé un document pour leur demander d'être mes parents littéraires et ils ont accepté. Stéphane Dompierre est devenu mon meilleur ami, on se parle tous les jours.»

C'est que cette fille d'une prof de littérature estime qu'un «roman québécois publié la semaine dernière a autant de valeurs qu'un classique». Miléna Babin, en tournant une page sur son adolescence, semble résolument vivre dans le présent, avec un orteil dans l'avenir. Son deuxième roman est commencé, en même temps qu'elle monte un plan d'affaires pour adapter au cinéma Les fantômes fument en cachette. «Depuis que j'ai fini mon livre, j'ai l'impression que je vais accoucher d'une bibliothèque. Je suis vraiment une fille de plume.»

Extrait Les fantômes fument en cachette

«Je me suis retournée vers lui. Il avait de petits yeux noisette, les cheveux rasés et un chandail rayé de deux teintes de vert. Ses Converse semblaient avoir fait la Deuxième Guerre mondiale et en m'y attardant un peu plus, je me suis demandé qui lui avait appris à faire des boucles. Il avait de la gueule. Je pouvais dire en un seul coup d'oeil qu'il avait à la fois tout ce qu'il fallait à un homme pour me plaire et en même temps la seule chose qui pouvait me repousser: un enfant.»

Les fantômes fument en cachette, Miléna Babin, XYZ, 208 pages.