Juin 2010, Katherine Pancol est assise à la terrasse d'un café. Près d'elle, un couple: lui, un «gringalet en shorts», elle, d'énormes lunettes fumées qui cachent une partie de son visage. Avec eux, deux enfants de 8 et 10 ans. La terrasse est déserte, car il fait une chaleur d'enfer. Katherine Pancol observe le couple. Elle voit l'homme se pencher sur sa femme enceinte, son visage en colère, ses mots chuchotés avec violence. Tout à coup, il lève la main et la frappe au visage avec force. Deux fois.

«J'étais pétrifiée, hébétée, raconte Pancol, je n'arrivais plus à respirer.»

La femme replace ses lunettes sans dire un mot, puis elle se dirige vers les toilettes. Katherine Pancol se lève pour la suivre. Le mari la pousse contre le mur et la menace. «Si tu lui parles, je la tue.»

Katherine Pancol voit le regard désespéré de la femme qui la supplie de ne pas intervenir. Pancol part, silencieuse, presque honteuse, mais la scène reste gravée dans sa mémoire. Du destin tragique de cette femme anonyme que Pancol n'a pas pu aider est né le personnage central du tome 1 de sa nouvelle trilogie, Muchachas, qui sortira au Québec le 26 février - le 2e tome sortira en avril et le 3e, en mai.

Pour écrire ce livre, Pancol est redevenue journaliste, un métier qu'elle a quitté en 2008 pour se consacrer entièrement à l'écriture. Elle a interviewé une vingtaine de femmes battues «pour être dans la vérité du détail».

«Je voulais savoir comment on en arrive là, raconte Pancol. Je voulais comprendre l'omerta, la lâcheté et la peur des autres qui savent, mais ne disent rien.»

Dans son roman, la femme battue s'appelle Léonie. Son mari, Ray Valenti, est une brute qui la bat avec rage. C'est le caïd du village que tout le monde craint. Un personnage dessiné à grands traits, à la limite de la caricature. Trop caricatural?

«Non, se défend Pancol. Parlez à une femme battue, vous verrez, c'est hallucinant.»

Un casse-tête

Katherine Pancol avale son deuxième café, un espresso bien tassé, à petites gorgées. Elle m'a donné rendez-vous dans un café près de chez elle, à Neuilly-sur-Seine, un quartier cossu situé de l'autre côté du périphérique qui ceinture la ville, à cheval entre Paris et la banlieue. Elle est arrivée avec ses lunettes fumées sur le nez même s'il tombait un léger crachin.

Elle est en tournée de promotion pour Muchachas, qui reprend plusieurs personnages de sa trilogie sentimentale écrite entre 2006 et 2010, Les yeux jaunes des crocodiles, qui a connu un succès foudroyant - six millions d'exemplaires vendus - et fait de Pancol une star. Elle y racontait les péripéties de la famille Cortès à travers des intrigues touffues, parfois invraisemblables.

Pour écrire sa nouvelle trilogie, elle a jonglé avec plus d'une trentaine de personnages, certains nouveaux, comme Léonie, la femme battue, d'autres connus des lecteurs. Elle a ressuscité sa famille Cortès sur laquelle elle avait pourtant écrit 2200 pages.

Tous les personnages, anciens et nouveaux, s'entrecroisent et les intrigues foisonnent. Un véritable casse-tête pour un écrivain qui doit attacher tous les fils, boucler toutes les histoires. Elle avoue qu'elle travaille sans plan. «Avant d'écrire, je passe un an à construire mes personnages», explique-t-elle.

Elle peaufine les détails qui donnent de la «substance et de la crédibilité» à ses personnages. «Nabokov [Lolita] parlait des divins détails», dit Pancol.

Ce sont les personnages qui lui dictent la marche à suivre, qui font et défont les intrigues. Ils prennent le contrôle de l'histoire, précise Pancol qui crée des rebondissements sans les planifier d'avance.

De fil en aiguille, elle a écrit 1400 pages. Si on les ajoute à sa trilogie précédente, elle se retrouve à la tête d'une oeuvre de 3600 pages. Elle se compare d'ailleurs à Balzac, qui écrivait des romans-fleuves.

Elle aime raconter. Et les lecteurs l'aiment. Ses livres se vendent comme des petits pains chauds.

Sa nouvelle trilogie lui a pris trois ans et demi de travail acharné. Elle a sué sang et eau pour l'écrire, s'astreignant à une discipline d'enfer. Elle s'installait à son bureau à 14h et elle travaillait jusqu'à 19h, cinq heures sans relâche. «Je restais assise même si rien n'arrivait. Et si rien n'arrivait, c'était horrible. Parfois, quand je suis vraiment coincée, je me promène, je marche vite, et souvent, ça débloque.»

Combien lui rapportent ses livres? «Je l'ignore. C'est vrai! Je ne suis pas bonne avec les chiffres.»

Elle ne vit pas comme une star. Elle n'a ni chauffeur, ni secrétaire, ni assistante. Elle prend le métro et l'autobus et elle fait elle-même ses courses, allant jusqu'à marchander le prix des fruits s'ils sont trop chers.

Le Paris intellectuel la boude. Le journal Le Monde a écrit à propos de ses livres: «Facile à lire, facile à oublier.» Le Magazine Littéraire, revue phare de la littérature en France, n'a jamais parlé d'elle.

Katherine Pancol hausse les épaules.

«Je touche les gens parce que je mène la vie de tout le monde. Je n'ai pas et je ne veux pas de vie mondaine.»

Elle a du succès. Un succès qu'elle savoure, car il lui donne une grande liberté, «celle de faire ce qui [lui] plaît». Et tant pis pour les critiques.

«Ce n'est pas votre chanteur Charlebois qui disait que les critiques sont des ratés sympathiques?»

Oui, c'était Charlebois.

Muchachas

Katherine Pancol

Éditions Albin Michel

422 pages

En librairie mercredi