Et si, un jour, les femmes blondes devenaient littéralement fatales? Dans son roman Les blondes, qui se lit comme un thriller, l'écrivaine torontoise Emily Schultz a imaginé un univers où les blondes - les vraies comme les «teindues» - se mettent à assassiner. Où les Véronique Cloutier et Scarlett Johansson de ce monde sont soudain fuies comme la peste ou mises en quarantaine. Entrevue avec une brunette dont le troisième roman, enfin traduit, décoiffe, dans tous les sens du terme...

«En fait, je suis une brunette qui tend un peu vers le gris, maintenant», dit en riant Emily Schultz, à l'autre bout du fil, depuis New York où la native de l'Ontario vit désormais, avec son mari et leur fils de 2 ans.

C'est en voyant une publicité de Gucci, où tous les mannequins blonds, hommes et femmes, semblaient prêts à attaquer qu'elle a eu l'idée de ce roman post-apocalyptique: «En imaginant les femmes blondes frappées par un syndrome qui les pousserait à tuer, je pouvais écrire sur les femmes, le concept de beauté, les rituels comme la coiffure ou la teinture, mais aussi sur l'état de panique et la paranoïa qui existent dans notre société quand une épidémie survient.» Pensez VIH, SARS, H1N1...

Dans Les blondes, l'épidémie est provoquée par un virus qui affecte uniquement les femmes à la chevelure d'or, qu'elle soit naturelle ou pas: comme frappées de rage, elles se mettent à tuer avec sauvagerie. Inutile de préciser que l'épidémie frappe particulièrement en Suède, en Russie et aux Pays-Bas, mais épargne beaucoup Cuba et le Mexique! La première «attaque» a pourtant lieu à New York...

Ni blonde ni brune

Venue étudier à Manhattan, Hazel Hayes est une jeune universitaire canadienne enceinte d'un de ses professeurs et témoin de cette première attaque du virus dans le métro new-yorkais. Elle n'est pas blonde, ni brune, mais bien rousse. Donc potentiellement dangereuse selon les autorités.

Pendant 500 pages, écrites à la première personne, elle va raconter au foetus qu'elle porte les péripéties qui l'ont menée dans un chalet perdu sous la neige, dans la région de Toronto, alors que l'univers entier a sombré dans l'hystérie et que les blondes se font tondre!

«J'ai construit le livre comme un roman d'action», estime très justement Emily Schultz.

Les rebondissements - fuites, enfermements, attaques - sont en effet nombreux dans ce troisième roman, le seul de ses ouvrages traduit en français à ce jour, si on excepte la biographie qu'elle avait consacrée au documentariste Michael Moore en 2005.

Son livre est une dystopie (le contraire d'utopie) campée dans un univers qui pourrait exister l'an prochain et qui est bouleversé par un phénomène mystérieux, un peu comme l'était The Road (La Route) de Cormac McCarthy ou, mieux encore, The Tale of the Red Maid (La servante écarlate) de Margaret Wood: l'histoire est d'autant plus effrayante qu'elle a souvent l'air plausible.

Quand elle décrit par exemple les mesures prises par les autorités pour tenter d'enrayer l'épidémie à l'aéroport JFK à New York, un centre de mise en quarantaine improvisé (à Hamilton, Ontario!) ou la part jouée par la désinformation médiatique dans la crise, Emily Schultz n'est jamais loin d'une certaine réalité. Et son humour noir est dévastateur; après une attaque particulièrement violente par des agentes de bord blondes, une ambulancière lance placidement: «Une chance que ce n'était pas jour de solde chez Macy's.»

Quant aux symptômes du virus, ils sont simples: il faut surveiller de près «les femmes qui haussent la voix, qui font des gestes violents [...] des sourires grimaçants, expriment des sentiments négatifs».

Malheur à celle qui souffre de syndrome prémenstruel!

Le cheveu identitaire

«Les femmes entretiennent un étrange rapport, très identitaire, avec leur chevelure, elle n'est jamais comme elles la voudraient, elles la modifient sans cesse, la jugent, la critiquent, reprend l'auteure, qui édite aussi le magazine littéraire numérique Joyland.

«Pendant que j'écrivais le roman [en 2009 et 2010], je demandais aux gens de mon entourage quelle était la couleur de leurs cheveux, et les réponses ne correspondaient jamais tout à fait à ce que je voyais. J'ai donc imaginé une héroïne qui n'était pas une brunette - ça aurait eu trop l'air de moi - ou une blonde, mais bien une rousse. Et Torontoise en plein Manhattan, en plus. C'est une fille qui souffre un peu d'isolement, c'est vrai. Mais elle va devoir en émerger pour survivre, avec une certaine bravoure.»

Et avec un coup de main, parfois bref, parfois à contrecoeur, d'autres femmes, confrontées elles aussi à l'épidémie et à la misogynie que le virus exacerbe.

Aussi professeure de littérature (elle donnera cette année un cours à distance sur l'écriture créative à l'Université de Toronto), Emily Schultz s'est amusée à jouer avec les mots: son héroïne se nomme Hazel Hayes (yeux pers), une chanteuse rock très populaire, blonde, s'appelle Shelbee Brown (elle sera brune)...

«Ça me permettait d'alléger un peu le ton sérieux du roman, et puis aussi de jouer avec les noms de couleurs, puisque c'est la couleur, finalement, dans ce roman, qui fait toute la différence», dit l'écrivaine. Très bien traduit (par Éric Fontaine), Les blondes aura aussi droit à une sortie aux États-Unis dans quelques mois.

Ça pourrait y faire l'effet d'une blonde!

Extrait Les blondes

«Elles étaient au nombre de sept ou huit, toutes des hôtesses de l'air. Elles avançaient rapidement. Vêtues de blazers bleu marine, elles parcouraient les grandes allées de l'aéroport en fauchant tout sur leur passage. Une des blondes a attrapé un garçon qui n'avait pas plus de douze ans par les épaules et l'a projeté contre un agent de sécurité. [...] Au bout du couloir, une autre blonde a attrapé une vieille dame par les cheveux. Je la regardais tirer la femme derrière elle par à-coups.»

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Les blondes. Emily Schultz. Alto, 502 pages.