Élise Turcotte est un arbre qui ne cherche nullement à cacher la forêt. Au contraire, avec Autobiographie de l'esprit. Écrits sauvages et domestiques, elle dévoile ses racines et montre comment elle a donné des feuilles et des fruits en 30 ans de création: une vingtaine de recueils de poésie et nouvelles, romans et récits, notamment des oeuvres pour jeune public.

Ce livre est arborescences. On y trouve des autoportraits, un vade-mecum éclaté, un bestiaire, un album photo, des lectures, des rêves et un journal. Tout est finement relié, cependant, dans un «esprit» aux ramifications étalées au sein d'une forêt luxuriante, noircie d'envoûtements et d'animaux. Autant le jour que la nuit, l'arbre dort et rêve à ses racines.

Une autobiographie ainsi pratiquée ne ressemble à aucune autre. Élise Turcotte ne souhaitait faire ni un bilan ni un essai. Elle voulait inviter les lecteurs dans sa tête.

«J'avais vu et aimé les autoportraits de Paule Baillargeon et d'Agnès Varda au cinéma. Je voulais faire comme un autel mexicain pour mes livres et l'écriture, expliquant c'est quoi la maison de l'écriture, à quoi ça ressemblerait. Il fallait que ce soit animé.»

Errance

Ce livre, elle en est fière, elle le trouve beau parce qu'il correspond à ce qu'elle voulait faire dès le début. Dans cet objet fuyant les catégorisations, sa pensée bouge, n'est pas figée ou totalitaire. Le texte qui la représente le plus, dit-elle, est celui intitulé Errance.

«Mes livres sont comme des poissons, note-t-elle. Tu ne peux pas les lire en cinq minutes. Tu ne peux pas les saisir et les rendre immobiles. Toujours en mouvement. Les chats non plus ne sont pas immobiles.»

Les animaux, dont ses chats compagnons, comptent beaucoup pour elle. Ils sont entrés dans son écriture à partir du roman La maison étrangère (2002). Les bestiaires la fascinent, tout comme les autoportraits, le Mexique et la mort, oui, la mort.

En fait, elle en a surtout, dans notre modernité, contre ce besoin de rire tout le temps, de rester en surface, de cacher la souffrance. Alors qu'elle voudrait «construire une maison pour les morts».

«Les livres qui nous touchent vraiment sont des livres durs, pense-t-elle. Comme dit Paul Chamberland, ce qui nous rapproche comme êtres humains, c'est la douleur.»

Leviers

«Ce n'est pas moi que j'aime là-dedans, ce sont les autres artistes écrivains», dit-elle encore. Ils ne représentent pas des inspirations, mais des «leviers». Des fantômes qui existent autour d'elle dans son bureau, quand elle travaille.

Élise Turcotte n'a jamais fermé les yeux sur l'invisible ou l'indicible. Au contraire, elle y plonge et fait «confiance à l'écriture». Elle se penche régulièrement sur la mort qui la touche de très près et de plus loin. Elle est Ce qu'elle voit (2010).

«Écrire c'est voir, fait-elle. On dit toujours qu'écrire c'est la pensée. Si j'avais les moyens, pour représenter la folie que j'ai dans la tête, j'aurais accompagné le livre d'un film.»

Elle souligne également qu'elle aurait pu publier un livre d'images ou créer une exposition où elle nous aurait invités dans la «chambre noire de l'écriture».

Ailleurs

Là où se développent les images, en somme. Parfois, volontairement, parfois en visant à côté. La vie est ailleurs.

«J'aime être ailleurs. J'aime voyager», dit-elle. Avec cette Autobiographie de l'esprit, l'auteure a aussi renoué avec le plaisir de désobéir aux règles de l'édition. Un thème en vogue...

Mais Élise Turcotte ne fait pas l'actualité. Ni le voile ni le numérique ne l'accaparent. Elle est déjà plus loin, menant deux autres chantiers de front, un recueil, La forme du jour, et un roman, Le parfum de la tubéreuse (fleur originaire du Mexique).

Le cerf aux yeux verts, nom totémique décerné par ses enfants, prolifère. «Faire l'Autobiographie de l'esprit m'a rapprochée encore plus de la liberté souhaitée dans le travail de la création... Je m'accorde cette liberté, de plus en plus, et je m'amuse.»

FRIDA KAHLO

« Je sais que je suis ce chevreuil. Ma transformation a commencé là, sur la plage, à mon insu. Et je porte des bois maintenant. Je bouge comme un animal aux aguets, cou tendu, mes yeux fixent l'humanité derrière un rideau d'arbres. Ce n'est pas un rêve, c'est un souvenir. Le souvenir d'une autre vie. »