Écrivain trilingue et grand bourlingueur, l'Américain Douglas Kennedy publie Cinq jours, son 11e roman. La Presse l'a rencontré dans son chic pied-à-terre, au coeur du Vieux-Montréal.

«Personne ne nous prévient en grandissant que nous allons être souvent déçus par la vie. Ni que nous serons aussi souvent responsables de nos déceptions.»

Et vlan! Bienvenue dans l'imaginaire de Douglas Kennedy où, sous le vernis des apparences, se trament les cauchemars de la classe moyenne nord-américaine.

Cinq jours est l'histoire de Laura, une mère de famille dans la quarantaine qui habite le Maine (Kennedy écrit souvent dans la peau d'une femme). Elle a deux grands enfants qui s'éloignent peu à peu du giron familial, un mari aigri par le chômage et un bungalow dont le toit coule.

Pour subvenir aux besoins des siens, Laura travaille comme technicienne en radiographie dans un hôpital où elle dépiste les cancers. Sa notion d'une bonne journée de boulot se résume à ne rien détecter. Ce qui ne l'empêche pas de souffrir elle-même d'une autre forme de cancer: l'ennui.

«De toutes les solitudes, la plus terrible est certainement celle que l'on éprouve au sein d'un mariage manqué», explique Douglas Kennedy, qui a écrit 5 jours dans le sillon d'un divorce difficile.

Laura dresse le constat d'échec de sa vie conjugale alors qu'elle se rend à Boston pour un congrès de radiologistes. C'est la première fois qu'elle se retrouve sans mari ni enfants depuis des lustres. Elle y rencontre Richard, un vendeur d'assurance qui, comme elle, baigne dans le marasme de sa vie de couple.

«Ils sont tous les deux otages de leurs mauvais choix», explique l'auteur globetrotteur de 58 ans, qui partage son temps entre le Maine, Paris, Berlin et Montréal.

«Les vies de Laura et de Richard sont empreintes d'une énorme tristesse. Dans la mesure où ils ont tous les deux sous-estimé leur potentiel. C'est pourquoi, lorsqu'ils se retrouvent face à l'autre, ils se reconnaissent aussitôt. Parce qu'ils sont les artisans de leur propre malheur», résume l'homme aux 7 millions de livres vendus, dont 3 millions dans la Francophonie.

Facile à lire

Si son dernier roman soulève plusieurs questions existentielles, il y en a une qui revient de façon constante dans son oeuvre: qu'est-ce qu'on veut de la vie?

«C'est une question immense. Et si la plupart des gens répondent qu'ils rêvent de voiliers, de décapotables et de villas sur le bord de la mer, la vérité, c'est qu'ils n'en ont pas la moindre idée. Parce qu'on s'embarque trop souvent dans des histoires avant même de savoir ce qu'on veut. Laura est tombée enceinte à 20 ans. Ce qui n'était pas prévu. Mais elle a tout de même pris la décision de garder l'enfant. Puis elle s'est mariée, et en a fait un autre. Elle s'est engagée dans la vie à l'aveuglette, sans penser qu'elle voudrait peut-être un jour changer de trajectoire.»

Dans la foulée, Douglas Kennedy admet que changer de vie est tout sauf une mince affaire. «Changer est le verbe le plus difficile à conjuguer. Surtout lorsqu'on a des enfants. Une carrière. Une maison. Des dettes.»

S'il se targue d'écrire des romans faciles à lire, Douglas Kennedy n'adhère pas à l'adage selon lequel les bouquins dont les pages se tournent rapidement correspondent à de la mauvaise littérature. «Ce n'est pas un péché mortel d'avoir un style accessible. Je crois même qu'il est possible d'être [...] intellectuel et d'aimer la littérature populaire.»

Parmi les autres questions sensibles que soulève Cinq jours, celle sur la fidélité illustre peut-être le mieux la pensée rationnelle de l'auteur. «Être fidèle, oui, mais envers qui?» Ce dernier rappelle que nous sommes nombreux à nous laisser prendre au piège. À devenir les esclaves de nos vies remplies à ras bord et des années qui défilent à toute vitesse.

En revanche, il assure qu'il arrive toujours un instant où un événement nous oblige à remettre en question notre capacité à faire les bons choix. Un moment qui nous force à regarder le chemin parcouru et à décider si l'on veut continuer à subir notre vie au lieu de la vivre.

«À partir de l'instant où l'on n'aime plus la vie que l'on s'est créée ni la personne avec laquelle on a décidé de la partager, il faut avoir le courage de changer de cap. Si ce n'est que pour rester fidèle à soi-même.» Comme Laura.

Extrait de Cinq jours

«Je me suis enracinée ici, je me suis enfermée ici...»: cette idée revient souvent m'assaillir, dernièrement. Très honnêtement, ce constat n'éveille

aucun ressentiment envers Dan. Quels que soient les autres problèmes que rencontre notre mariage, je ne lui reproche pas un seul instant la façon dont ma vie a évolué. Ne serait-ce que parce que j'ai ma part de responsabilité dans tout cela. J'ai choisi de l'épouser, et je peux me rendre compte maintenant qu'il m'est arrivé de prendre des décisions cruciales alors que je n'avais sans doute pas toute ma lucidité. N'est-ce pas inhérent à la nature humaine? Une histoire personnelle, une existence peut être modifiée par une décision qui n'a pas été mûrement réfléchie.»