Notre collègue et expert des polars Norbert Spehner considère Deon Meyer, auteur de thrillers sud-africain, comme «l'un des dix meilleurs de tous les temps». Tous les médias, d'ici comme d'ailleurs, ont salué la force de 7 jours, dernier roman de Meyer, pendant que l'Afrique du Sud défraie la chronique, en raison du déclin de la santé de Nelson Mandela. C'était l'occasion toute trouvée de s'entretenir avec un auteur qui aime écrire, faire de la moto, cuisiner. Mais qui aime surtout l'Afrique du Sud.

«J'ai commencé à écrire mon nouveau roman en janvier dernier, et l'action devrait se dérouler en juillet, explique Deon Meyer en direct de la municipalité du Cap, en Afrique du Sud. Si monsieur Mandela meurt ces jours-ci, il y a donc bien des chances que son départ figure dans le livre. D'habitude, je ne fais pas intervenir ce genre d'événements dans mes romans, mais c'est monsieur Mandela.»

Né en Afrique du Sud il y a 55 ans, Deon Meyer est un Afrikaner, un Sud-Africain blanc, tour à tour journaliste, publicitaire, gestionnaire internet, directeur de projets spéciaux pour les motos BMW et instructeur de conduite de moto: il publie d'ailleurs sous peu un guide sur l'Afrique du Sud hors des sentiers battus à découvrir en motocyclette!

Mais, depuis 1996, Deon Meyer est principalement un auteur de polars reconnu dans le monde pour la qualité de ses livres. Pensez Henning Mankell, mais parachuté sur le continent africain, tout au sud, une fois l'apartheid aboli.

Bonne semaine!

Son dernier roman traduit en français, 7 jours, met en scène le policier Bennie Griessel, déjà rencontré dans les romans Le pic du diable (2007) et 13 heures (2010) - il n'est toutefois pas nécessaire de les avoir lus pour apprécier.

Car 7 jours est un polar d'une grande efficacité, écrit avec élégance et force («Je m'étais donné comme défi d'écrire un polar «vintage"mais sans cliché!»), qui traite à la fois d'un meurtre impossible à résoudre et d'un tireur qui menace de tirer quotidiennement sur un policier tant que ce meurtre ne sera pas résolu. Mais aussi d'un pays qui change à une vitesse folle, d'un policier ex-alcoolique confronté à la difficile sobriété, d'économie raciale et d'avocasserie, d'ambition et de désabusement, d'informatique invasive et de musique rédemptrice. Un polar qui met aussi en scène trois personnages féminins dont le destin croise celui de Bennie Griessel: une morte trop ambitieuse, une chanteuse alcoolique et une policière dérangeante.

«J'écris toujours sur des gens dont l'"ethnicité", la couleur, la langue sont différentes parce que c'est toujours la réalité en Afrique du Sud, explique Meyer. Mais j'ai rapidement compris qu'il me fallait ne pas insister sur les différences entre les gens et tabler plutôt sur leurs similarités. Je le reconnais, écrire sur des personnages féminins m'a toutefois demandé plus de concentration et de travail, parce que les différences, notamment les réactions à la violence, sont vraiment importantes. Il faut que je pousse encore plus mes recherches sur le sujet.» Car Deon Meyer étaye toujours ses romans par d'importantes recherches. En témoigne notamment la longue liste de ses sources à la fin de 7 jours, qui vont d'une étude sur la façon dont un couteau peut pénétrer un corps humain à des ouvrages sur la mafia russe. Car il y a aussi la mafia russe dans 7 jours. Pas étonnant qu'il soit question de porter au grand écran les enquêtes de Bennie Griessel (avec Sean «Boromir» Bean dans le rôle principal).

L'Afrique du Sud au XXIe siècle

Un lecteur assidu de Meyer constatera avec intérêt que ses livres reflètent l'évolution de l'Afrique du Sud - et de sa police - au fil des ans: depuis que Meyer a publié son premier polar en 1996 («il n'était tout simplement pas possible d'écrire un roman sur un policier avant cela, dans mon pays!»), les forces policières et la société en général ont dû changer à la vitesse grand V. «Pendant des décennies, les gens ont été séparés en fonction de leur couleur et de leur ethnie, ensuite ils ont été forcés à travailler ensemble. Maintenant, nous arrivons à une période où c'est plus naturel, plus facile d'être ensemble. À l'école, mes enfants [Meyer en a quatre] ont des amis issus de tous les groupes, et tout le monde trouve ça normal - alors que ça ne l'était tellement pas il y a seulement 20 ans!»

«C'est pour cela que, dans 7 jours, je voulais que le lecteur ne sache pas toujours si les personnages sont Blancs, Noirs ou Métis: c'est une réalité importante, mais le plus important est que nous travaillons bel et bien ensemble, que nous sommes réunis. En particulier dans la police, où le travail d'équipe est fondamental.»

En fait, c'est souvent par l'usage de mots en zoulou, afrikaans, xhosa, etc., qui jalonnent le texte - et y ajoutent beaucoup de saveur - qu'on saisit ces différences: le glossaire à la fin du roman est à lire in extenso!

Le contexte sud-africain a d'autres conséquences dans les romans de Meyer: dans 7 jours, par exemple, il est question des travers des transactions BEE (Black Economic Empowerment), une politique de transformation raciale de l'économie dont l'auteur pense beaucoup de bien, mais qui a ses dérives quand avocats et banquiers s'en mêlent trop. «C'est une réalité à la grandeur du pays: dans la société en général, chez les Sud-Africains ordinaires, l'intégration raciale et l'acceptation des autres sont franchement incroyables; c'est sur le plan politique qu'il y a un problème, c'est une question d'équilibre, le parti au pouvoir [l'ANC] est trop puissant actuellement.»

Ce qui nous ramène à Nelson Mandela: «Oubliez les dissensions dans sa famille, dit Meyer. Ce qui est extraordinaire, en ce moment, c'est qu'il y a des gens qui prient pour lui devant l'hôpital, des Blancs, des Noirs, des Métis, tous ensemble. C'est extraordinaire de voir que le rêve de Martin Luther King, il y a 50 ans, vit toujours grâce à des êtres comme Nelson Mandela. Cet homme est un symbole d'une grande beauté, parce qu'il nous a montré ce que nous pourrions devenir et nous le devenons, très tranquillement. On peut s'attarder à tout ce qui est négatif - et il y en a beaucoup -, mais soyons honnêtes: la situation s'est grandement améliorée ici. Et aux États-Unis aussi.»

Extrait 7 jours

«Il était dans la police depuis vingt-six ans, et, pour autant qu'il puisse en juger, les gens étaient exactement pareils qu'à ses débuts. Ils volaient et tuaient pour les mêmes raisons. Afrikaners, Anglais. Blancs, Noirs ou Métis. Et il soupçonnait qu'il en avait toujours été ainsi depuis des centaines d'années. Il y avait toujours eu des femmes qui réclamaient plus d'attention que d'autres. Son instinct lui soufflait que la vie, les actions des gens se résumaient à la vieille règle de criminologie : prédisposition, environnement et circonstances. La nouvelle Afrique du Sud n'y avait rien changé. Pas plus que Facebook, Twitter ou Linked Up ou In, quel que soit le dernier truc à la mode.»

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7 jours, Deon Meyer, Seuil, 432 pages.