Figure aussi emblématique que discrète de notre littérature, André Major avait annoncé un «adieu au roman» au début des années 2000. Il y revient «malgré lui» avec À quoi ça rime?, qui arrive 18 ans après sa précédente oeuvre de fiction, La vie provisoire.

Depuis 2001, André Major a publié trois volumes de ses carnets d'écrivain. Le premier s'intitulait même Le sourire d'Anton ou l'adieu au roman, et l'auteur du Cabochon et de la trilogie Histoires de déserteurs n'hésitait pas à déclarer que la littérature se trouvait ailleurs que dans la fiction. «On dirait bien que c'était un adieu provisoire. Mais c'est vrai que tout le monde me blague avec ça en ce moment...»

Le roman a en effet rattrapé l'auteur de 71 ans pendant une résidence d'écriture à Lisbonne, l'an dernier. Il avoue s'être laissé prendre au jeu sans vraiment s'en rendre compte, d'abord avec l'écriture d'une nouvelle sur un retraité veuf depuis peu qui va répandre les cendres de son oncle dans le Tage. «À la fin, il revient au Québec. Mais je ne pouvais pas terminer avec un atterrissage et le laisser en plan.»

Il l'a alors imaginé se construisant une cabane au fond du bois, écrivain ermite qui se réfugie auprès de ses auteurs fétiches. À quoi ça rime? reprend d'une certaine manière les thèmes chers au romancier: l'exil de soi, la démission, la désertion. Sauf que cette fois, c'est le personnage d'Antoine qui est «déserté», sans amour, sans travail, son fils en voyage et son neveu qu'il adore qui vieillit et s'éloigne de lui.

«Il est seul et on aurait pu supposer que c'est ce qu'il désire. Mais dans le fond, pas tant que ça! Il veut une solitude partagée finalement. Et face au vide, il doit trouver un sens à sa vie. Ne pas se laisser distraire, trouver de nouvelles assises.»

Si on sent parfois le prolongement de ses carnets avec ses réflexions sur l'écriture, reste que la fiction était, selon André Major, le meilleur moyen d'exprimer le sentiment de perte et le vieillissement d'Antoine. «C'est vraiment un livre sur le deuil et sur quoi faire avec le temps qui reste.» Plus que les carnets, qui sont davantage une conversation avec les lecteurs, le roman donne accès à l'intimité du personnage, à ses doutes, ses obsessions, ses désirs.

«Je veux explorer plus qu'effleurer», dit l'auteur qui a écrit à la première personne pour la première fois, s'aventurant au plus près de l'essence de son personnage. Ce qui lui a permis de trouver un rythme très musical, fait de courts chapitres aux phrases très longues, mais toujours fluides et sobres. «Pour moi, c'est comme une fugue, avec des contrepoints, des thèmes qui se répètent. On crée ainsi un effet de boucle. C'est comme ça aussi dans nos vies: on tourne toujours autour des mêmes choses.»

La lumière des autres

Après 50 ans de carrière, André Major ne veut surtout pas se répéter. «À quoi bon écrire sinon», glisse-t-il au détour de la conversation. Pour revenir au roman, il lui fallait donc trouver la manière de faire - il n'était plus question pour lui de lire ou d'écrire des récits à rebondissements. C'est en fréquentant les romans d'autres auteurs qu'il y est arrivé.

«J'ai lu tout Virginia Woolf, par exemple. J'ai aussi découvert l'Allemand W.G. Sebald, qui écrit au ''je'' et dont on ne sait jamais clairement s'il fait de la fiction ou du documentaire.» Et c'est l'oeuvre de Kafka qui l'a accompagné pendant l'écriture de À quoi ça rime?, pour le déchirement entre la vie et l'écriture que l'auteur de La métamorphose exprimait constamment, ce que ressent aussi le personnage d'Antoine.

Lecture, relecture: c'est la méthode André Major depuis toujours. «On apprend des autres, de leurs expériences. On manque de lumière dans notre seul univers, la littérature nous en donne.» Il préfère d'ailleurs relire plutôt que de commencer un livre qui ne lui parle pas. «J'ai beaucoup lu dans ma vie. Je sais maintenant dès les premières pages si un livre est pour moi ou non. Et je ne perds plus de temps à lire ceux qui ne le sont pas.»

André Major sait ce qu'il aime. Gabrielle Roy, avec qui il a correspondu jusqu'à sa mort, reste son modèle d'écriture par sa profondeur, sa sobriété et sa «transparence».

«Je n'aime pas les auteurs qui se donnent en spectacle, qui cachent leur propos derrière des jeux de mots, de l'argot. L'écriture doit être cristalline, on doit voir à travers, et ceux qui en font trop nous distraient de l'essentiel derrière une impression de virtuosité. La voix du prosateur est l'écho des personnages, elle doit transmettre une vérité, et si la langue est frelatée, on passe à côté comme écrivain.»

À quoi ça rime?

André Major

Boréal, 182 pages

Extrait:

« Nos morts entrent en nous, comme pour prolonger leur séjour sur la terre, pourrait-on croire, mais peut-être qu'en revanche nous puisons dans ce qu'ils ont laissé en nous: la consolation douce-amère de ruminer le passé ou l'envie de vivre pleinement. Tout dépend de nous, en fin de compte, et de la façon dont nous interprétons leur message, comme quand j'ai pris la boutade de mon oncle au pied de la lettre en partant pour Lisbonne y disperser ses cendres ou quand j'essayais de m'accrocher au souvenir d'une Huguette toujours vivante pour ne retrouver qu'une image figée me rappelant que je vivais en sursis, au cas où je l'aurais oublié. »