L'écrivain irlandais Colm Tóibín fait la manchette depuis la publication de sa pièce devenue roman, The Testament of Mary, dans laquelle il imagine une Marie, mère de Dieu, profondément traumatisée et «négative». C'est ce texte et tous ses autres ouvrages qui lui ont lui valu, vendredi soir, le Grand Prix littéraire international Metropolis bleu 2013, accompagné d'une bourse de 10 000$. Entrevue avec un auteur hors du commun.

C'est de New York que Colm Tóibín, né en Irlande en 1955, répond d'une voix grave et patiente au téléphone. Il y a justement quelque chose de grave et patient dans son oeuvre. Ainsi, son plus récent roman, l'extraordinaire The Testament of Mary (dont on attend la traduction en français chez Robert Laffont dans quelque temps), témoigne à la fois du sérieux de Tóibín - énormément de recherches, de lectures, d'études - et de sa capacité à attendre, à laisser une histoire faire son chemin en lui, jusqu'à devenir oeuvre de fiction. Ce Testament a même connu une transmutation digne des noces de Cana: de pièce de théâtre créée en Irlande (et actuellement reprise sur Broadway à New York), il est devenu roman. Celui d'une femme vieillissante, loin de toute Assomption.

«J'ai notamment visité Éphèse, où on croit que Marie s'est réfugiée après la crucifixion de Jésus, pour avoir une idée de ce qu'elle aurait pu voir, et je connaissais déjà Jérusalem, explique l'Irlandais catholique. J'ai aussi relu les Évangiles, lu aussi des ouvrages spécialisés, notamment plusieurs des textes de Geza Vermes, l'un des plus grands spécialistes de la vie de Jésus. Ensuite, le problème a été de trouver la voix, le ton du personnage, son style quand Marie s'exprime, au «je». «Une fois cela fait, tout ce qu'il me restait à faire, c'était de travailler!»

Travailler? C'est peu dire. Comme le rappelle l'écrivain et traductrice Claire Holden Rothman, membre du jury du Grand Prix Metropolis bleu, Colm Tóibín est prolifique: «Des livres de voyage, des essais sur la littérature, des mémoires, sept romans, deux recueils de nouvelles, deux pièces Testament of Mary, [présentées actuellement sur Broadway]. Mais ce qui nous a impressionnés, ce n'est pas seulement son activité ni ses nombreux prix. C'est sa capacité à s'immobiliser pour se tourner vers l'intérieur. Pour capturer, comme l'ont fait Henry James et Jane Austin, l'insaisissable vie intérieure...» «Chez Tóibín, la petite histoire se frotte à la grande», explique de son côté le poète et journaliste Tristan Malavoy, également du jury.

C'est justement de liens familiaux qu'il est question dans The Testament of Mary, un roman d'à peine 104 pages qui bouleverse, secoue et dérange le lecteur. On ne peut plus jamais penser aux noces de Cana (et ses jarres d'eau changée en vin) ou à la résurrection de Lazare de la même façon, une fois ce livre refermé. Ce n'est pas parole d'Évangile. C'est parole de femme.

En fait, de même que Jésus ressuscite Lazare avec des conséquences inattendues, de même Tóibín ressuscite Marie avec des répercussions désarçonnantes pour le lecteur. Marie n'a rien d'une sainte ou d'une icône, mais ce n'est pas ce qui nous dérange vraiment. C'est qu'elle soit un être humain qui s'interroge sur ce qui est arrivé à ce fils qu'elle a eu et qui lui est devenu, adulte, un quasi-étranger. Qu'elle soit un être humain pétri de culpabilité, aussi. Une femme perturbée, traumatisée, à jamais sous le choc de ce qu'elle a vu et vécu sur le mont des Oliviers. Une femme qui ne porte pas les hommes dans son coeur, si ce n'est peut-être ce mari disparu, jamais nommé, Joseph.

«C'est vrai que j'ai souvent écrit sur les relations mère-enfant une fois l'enfant est devenu adulte, reconnaît Tóibín. C'est une relation qui m'intéresse parce qu'elle est ambiguë, mais aussi parce qu'elle doit nécessairement évoluer, à mesure que l'enfant grandit, que la mère nourricière ne l'est plus... En plus, Marie a vécu à une époque de transition, où l'influence romaine s'insinue dans le quotidien en Galilée, où le pouvoir et le discours changent. Certains sont capables de s'adapter facilement à la situation, mais pas tous. Pas Marie. Marie est une survivante, avec tout ce que cela suppose. C'est pour cela que j'ai écrit ce texte à la première personne, au présent, avec des mots très courts, de peu de syllabes, c'est la parole d'une traumatisée, une parole plus saccadée, en pizzicato, brusque...»

S'il s'en inspire beaucoup, Tóibín n'aime pas particulièrement le brusque, ni le brutal: «C'est ce que j'apprécie beaucoup de ce Grand prix du Métropolis bleu: il ne repose pas sur une liste de candidats (short-list), On n'a pas l'impression de faire partie d'une course de chevaux...»

Info: metropolisbleu.org