Voilà un «must» pour les «proustiens»: Marcel Proust, L'arche et la colombe, beau livre réunissant des archives inédites de l'écrivain, qui paraît pour le 90e anniversaire de sa disparition. Sa descendante, Patricia Mante-Proust, qui a collaboré à ce projet, signe la préface, et elle nous explique ici ce que représente un tel héritage familial, ayant grandi à l'ombre des admirateurs de Proust qui lui pinçaient les joues quand elle était enfant...

Vous êtes l'arrière-petite-nièce de Marcel Proust. Vous êtes fière de cette filiation, mais n'est-ce pas un héritage lourd à porter? Vous écrivez dans la préface que l'on attendait parfois de vous d'avoir hérité de son talent d'écriture et d'avoir presque lu À la recherche du temps perdu au berceau!

Oui, c'est un héritage lourd à porter, car on se heurte parfois à des a priori. Je ne suis pas une littéraire et je ne l'ai jamais revendiqué. Du reste, on ne m'a pas du tout poussée dans ce sens-là lorsque j'étais plus jeune. Il est difficile de prendre conscience de l'importance du personnage lorsque l'on est petite fille. C'est bien sûr au moment de l'adolescence et lorsque l'on passe les épreuves de français au baccalauréat que l'on se penche davantage sur la littérature française. Et c'est à ce moment-là que l'on se rend compte à la fois de l'importance de Proust et de sa place dans la littérature, et également de la difficulté de l'étudier. Il n'est pas considéré comme un auteur «facile» et il oblige forcément à l'humilité.

Comment parlait-on de votre oncle dans votre famille? Comment évoquait-on sa mémoire?

Avec beaucoup de respect, évidemment, dû à ce qu'il inspire. La seule à l'avoir connu de son vivant est ma grand-mère, Suzy Proust. Elle avait 19 ans lorsque Proust a disparu et j'avais 11 ans lorsque j'ai perdu ma grand-mère. C'est donc le seul lien qui nous restait dans la famille. Ma grand-mère lui vouait une grande passion et je me souviens d'elle à la fin de sa vie écoutant À la recherche du temps perdu sur cassette audio, car sa vue avait beaucoup baissé. Elle m'a raconté quelques-uns de ses souvenirs d'enfance, par exemple les soirs où on la réveillait et l'habillait pour recevoir son oncle. Il faut rappeler que Marcel vivait la nuit... Elle l'imaginait comme un magicien qui aurait pu exaucer tous ses voeux, car elle-même avait reçu une éducation très stricte.

Puisqu'il s'agit de votre famille, croyez-vous, comme lectrice, avoir un lien différent avec l'oeuvre, qui parle de vos ancêtres?

Proust s'est beaucoup inspiré de son entourage pour concevoir ses personnages, donc il est vrai que lorsque j'étais petite fille - heureusement plus maintenant -, il existait une certaine confusion dans mon esprit entre la fiction et la réalité. Quels étaient les personnages de la Recherche et ceux qui étaient vraiment issus de ma famille? Tout cela était assez flou. Cependant, je pense que chacun a un rapport particulier avec l'auteur qu'il apprécie, qu'il y ait un lien de parenté ou pas. Proust, du reste, ne nous appartient plus: il appartient à la littérature.

Pour ce très beau livre, qu'avez-vous offert comme archives inédites à Mme Mireille Naturel, secrétaire générale de la Société des amis de Marcel Proust?

Il faut tout d'abord préciser que de nombreux documents familiaux avaient déjà été confiés par ma grand-mère de son vivant, aussi bien au musée Marcel Proust, d'Illiers-Combray, sur lequel Mireille Naturel veille actuellement, qu'à la Bibliothèque nationale de France à qui Suzy Proust a confié les manuscrits de La recherche en 1962. En tant que descendante de l'écrivain, j'ai pu donner accès à des documents tout à fait exceptionnels comme le registre militaire de Marcel Proust ou ses étonnants carnets scolaires du temps où il était élève au lycée Condorcet. Enfin, quelques photos de famille et correspondances comme une lettre à Reynaldo Hahn appartenant à la collection familiale...

Vous confessez avoir un «regret, pour ne pas dire un manque», c'est-à-dire ne pas l'avoir connu personnellement. Quelles questions auriez-vous aimé lui poser?

C'est difficile... Je ne sais pas si ce sont des questions ou plutôt des conversations que j'aurais aimé avoir avec lui. Il avait un regard si acerbe sur la société... C'est probablement cela que j'aurais pu développer aujourd'hui avec lui. On dit de lui qu'il était snob, je n'en suis pas si sûre...

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Marcel Proust: l'arche et la colombe. Textes de Mireille Naturel, préface de Patricia Mante-Proust. Michel Lafon, 191 pages, 69,95$