Devant les journalistes, Jean Echenoz est presque aussi peu bavard que Patrick Modiano, qui a toujours l'air de s'excuser d'avoir écrit un roman. Mais, cet automne, pour la sortie de son roman 14, il est allé bravement faire le tour des rares grandes émissions à la radio et à la télé. Il a même donné quelques longues interviews à trois ou quatre journaux.

À Paris, les romanciers un tant soit peu connus rencontrent les journalistes chez l'éditeur ou au bar d'un hôtel voisin. Comme s'il voulait contrarier sa nature discrète, Echenoz donne rendez-vous chez lui. Un appartement spacieux (pour Paris), au troisième étage d'un immeuble ancien mais banal du 9e arrondissement. Un salon sobrement meublé, parfaitement ordonné, un Macintosh portable ouvert sur la table, pas un papier qui traîne. Un paquet de cigarettes posé sur la table basse.

Il est installé rue Condorcet depuis deux ans. Un bout de Paris sans histoire ni personnalité bien affirmée, qui donne l'impression de vouloir passer inaperçu, comme Echenoz lui-même: «C'est très agréable ici, me dit-il, c'est un vrai quartier.» C'est-à-dire anonyme.

Echenoz ne cherche pas trop les mondanités: «J'ai un certain nombre d'amis romanciers, comme Olivier et Jean Rolin, ou Pierre Michon, mais on ne se voit pas souvent. À une époque, je sortais voir les nouveautés au cinéma, les vieux classiques. Mais ça m'a passé depuis longtemps. Je ne sors pas beaucoup.»

On lui a proposé d'entrer à l'Académie Goncourt, consécration parisienne garantie sans contrainte: il a refusé. Son copain François Weyergans a beaucoup insisté pour qu'il vienne le rejoindre à l'Académie française: autre refus.

Jean Echenoz est un pur écrivain et rien d'autre.

«J'ai toujours eu envie d'écrire, dit-il, mais je n'ai pas été très précoce. Je suis arrivé à Paris à 22 ans. J'ai fait divers petits boulots, dans la pub, la presse, j'ai tâté brièvement du cinéma comme coscénariste, mais j'ai compris que ce n'était pas pour moi: c'était trop collectif. Mon premier roman, Le méridien de Greenwich, a été publié quand j'avais déjà 32 ans. Il avait été refusé par tous les éditeurs. Finalement, je l'ai envoyé aux éditions de Minuit où j'avais toujours rêvé d'être publié. Jérôme Lindon m'a rappelé deux jours plus tard. Quatre ans plus tard, j'ai eu le prix Médicis pour le deuxième, Cherokee. À partir de ce moment-là, j'ai vécu de ma plume. J'avais gagné cette chose incroyable pour un écrivain: la liberté...» Il ajoute, comme pour s'excuser, sans vraiment y croire: «Je n'en fais pas grand-chose d'ailleurs.»

Sa vie tourne donc autour de ce seul objet, l'écriture. «La première chose que je fais au réveil, c'est de jeter un coup d'oeil sur le travail de la veille, de voir comment je pourrais l'avancer. Après le petit-déjeuner, je m'y remets sérieusement. Cela m'arrive d'être en panne, mais je m'obstine. Quand je pars avec ma compagne, dans le Périgord ou dans le Vaucluse, j'ai toujours mon ordinateur avec moi, et donc le travail ne s'arrête jamais. Sinon qu'est-ce que je ferais?»

L'un des romanciers qui ont le plus contribué à sa vocation est un certain Jean-Patrick Manchette, auteur de séries noires «intellos» et ironiques des années 70 et 80, devenu auteur-culte après sa mort. «Manchette a déclenché quelque chose chez moi, dit Echenoz, et parfois il m'arrive de feuilleter à nouveau ses livres.»

On pouvait reconnaître cette influence dans les premiers romans, qui étaient des versions décalées de polars ou d'histoires d'aventures et d'espionnage. Par la suite, la tendance au minimalisme a pris le dessus, avec une narration de plus en plus neutre, des personnages qui ne sont plus que des silhouettes. «C'est vrai que je ne fais pas trop dans la psychologie ni dans les leçons de morale. Je raconte des histoires de manière à ce que le lecteur puisse imaginer la scène à sa manière, qui ne sera pas celle que j'avais moi-même imaginée.» Aujourd'hui, ce sont plutôt Flaubert et - surtout - le Diderot de Jacques le fataliste qu'il place au-dessus de tout. Tout est dans le style.

D'ailleurs, est-il encore question d'histoire? Son roman a pour sujet la guerre 14-18. Quatre jeunes hommes de Vendée partent au front, un seul en reviendra. Vaste sujet, qui lui est tombé dessus par hasard, en découvrant dans un grenier familial les carnets d'un ancien combattant de la Grande Guerre. Un journal déjà «minimaliste», où il n'était guère question de combats mais de la météo, de la bouffe et de la vie quotidienne. À l'arrivée, Echenoz boucle cette «effroyable boucherie» de 16 millions de morts en un récit de 150 000 signes qui totalise à peine 124 pages.

Un livre sur la Guerre? «Il n'y a pas de message sur la Guerre ou sur la vie. J'avais décidé de faire un récit au passé composé, d'utiliser le «on», les tirets et les deux points. J'avais en tête la toute dernière scène du roman, je savais qu'il y aurait un passage sur les animaux dans les tranchées. Mais il n'y a pas de thèse. Ce n'est pas mon truc.»

Son «truc», c'est l'écriture. Et peut-être, admet-il du bout des lèvres, l'expression d'«un certain désenchantement».

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14. Jean Échenoz, Minuit, 124 pages.