Emmanuel Kattan avait lancé il y a quatre ans un premier livre convaincant, Nous seuls. Il impressionne cet automne avec son deuxième roman, Les lignes de désir, qui mêle spiritualité, quête identitaire et intrigue policière sur fond de conflit israélo-palestinien. Complexe comme le monde, limpide comme l'amour d'un père pour sa fille.

Installée à Jérusalem pour étudier, une jeune femme, Sara, juive par son père et musulmane par sa mère, disparaît mystérieusement. Son père Daniel, qui vit à Montréal, décide de partir à sa recherche lorsqu'il constate que l'enquête n'avance pas. C'est la trame de Lignes de désir, mais il y a beaucoup plus dans ce roman narré sur plusieurs strates: le journal de Sara, les échanges de courriels entre elle et son père, et les recherches de Daniel.

«Mon premier roman parlait du couple, mais le rapport entre les générations et la filiation sont de plus en plus prégnants pour moi», dit l'auteur, père de deux adolescents. L'idée de départ de ce deuxième roman reste cependant la double identité: fils du romancier Naïm Kattan, Emmanuel Kattan est lui-même juif et catholique, et il s'est demandé ce qui se passerait «si quelqu'un voulait vraiment vivre ses deux identités religieuses».

À Montréal, cette double identité pose peu de problèmes. Dans un pays comme Israël, ça se complique. «Sara vivait sa double identité de l'intérieur, de manière paisible. Le problème s'est posé au moment où son rapport s'est extériorisé, dans un contexte où on n'admet pas les identités multiples. Elle rencontre des personnes qui sont taillées tout d'un bloc, qui ont une identité très exclusive.»

Emmanuel Kattan n'a pas voulu écrire un roman politique ou documentaire sur le conflit israélo-palestinien. Il a plutôt essayé de comprendre «comment le conflit transforme la manière dont une personne développe sa relation avec les autres». En refusant de prendre parti pour un côté ou l'autre, Sara en paiera le prix.

«Ne pas choisir et être tout ce qu'elle est, c'est sa manière de demeurer libre», dit l'auteur, admettant que c'était aussi une façon pour lui de ne pas prendre position. C'est que les deux principaux suspects de la disparition de Sara et de son amoureux Ibrahim sont un ex-amant juif intransigeant et le cousin d'Ibrahim, extrémiste musulman. «C'est un reproche qu'on peut me faire. Mais le problème est justement là, dans cette obligation de prendre parti. Il faut voir l'histoire du point de vue de l'autre, car des deux côtés, il y a une tragédie.»

Emmanuel Kattan a volontairement laissé beaucoup de blanc dans son histoire, justement pour ne pas enfermer les lecteurs dans une seule interprétation de la réalité. D'ailleurs, même si ses deux romans ont des allures de romans policiers, il n'apprécie pas beaucoup le genre. «Quand on commence à en lire un, on est excité, on fait plein d'hypothèses extravagantes, et à la fin, qu'on ait raison ou non, on est vraiment déçu. C'est infantilisant, on se sent volé de notre autonomie.» Son approche est plus ouverte, quitte à frustrer certains lecteurs qui auraient aimé avoir le fin mot de l'histoire - la fin est tragique, mais de coupable, il n'y en a pas.

Détour

Fils d'écrivain, Emmanuel Kattan a fait un long détour avant de venir à l'écriture. «J'ai étudié trop longtemps. Ce n'est pas le parcours que je recommanderais à mes enfants!» Titulaire d'un doctorat en philosophie, Emmanuel Kattan est passé par l'Université de Montréal, Oxford et l'École des hautes études de sciences sociales de Paris. «Peut-être que j'aurais dû dire basta bien avant, peut-être que j'ai manqué de courage. Mais ça reste une expérience intéressante.»

L'auteur, qui vit depuis sept ans à New York - il a travaillé cinq ans aux Nations unies et est directeur du British Council depuis deux ans -, a donc publié son premier roman à près de 40 ans. «C'était le temps depuis longtemps.»

Il n'a pourtant pas l'impression d'être meilleur écrivain parce qu'il a commencé plus tard. Un premier roman reste un premier roman, dit-il, avec ses défauts et ses tâtonnements. Il faut nécessairement passer par là, quel que soit notre âge. «C'est difficile pour moi de feuilleter Nous seuls, je vois beaucoup de choses que je n'aime pas. Il y a une maturité d'écrivain, de l'exercice d'écrire qui n'est pas nécessairement parallèle à la maturité d'homme.»

Son objectif était de dépasser le premier roman, et s'il ne regrette pas ces années passées à faire autre chose, il ressent une certaine urgence de tout raconter. «On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. J'ai quatre, cinq idées dans la tête, j'espère que j'aurai le temps de les coucher sur papier.»

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Les lignes du désir. Emmanuel Kattan. Boréal, 248 pages.

Extrait Les lignes de désir



Parfois, je les envie. Samira, Tamar et Avner ont des attaches, ils sentent en eux le mouvement de l'histoire, ils connaissent les chemins du monde. Surtout, ils ne sont pas seuls. Les autres ne sont pas simplement « les autres », ce sont des amis, des proches, des compagnons de route.

Moi, je n'arrive pas, je n'arriverai jamais à dire «nous».

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