Robert Lalonde n'avait pas publié de roman depuis Que vais-je devenir jusqu'à ce que je meure?, en 2005. «J'ai 65 ans, et parfois je me demande si j'ai encore le souffle pour m'embarquer dans un roman qui me demandera quatre, cinq ans de travail», dit l'écrivain.

Deux recueils de nouvelles ont d'ailleurs suivi en 2007 et en 2009, et la scène centrale d'Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle a d'abord été écrite sous cette forme. Robert Lalonde espérait «pouvoir s'en tenir là» et simplement l'inclure dans un nouveau recueil, mais il a senti que, cette fois, il ne s'en tirerait pas ainsi. «Mais quand c'est trop, je sacre la fiction là et je travaille sur autre chose, comme des carnets. J'ai publié deux livres [Le seul instant et Sept oiseaux, mon père et moi] pendant que j'étais en processus de création, ça donne la patience de laisser mijoter.»

Robert Lalonde a cherché longtemps la forme idéale pour ce roman sur le passage à l'âge adulte d'un adolescent, les choix qu'il doit faire entre la lumière et la noirceur, et surtout les gens qui jalonnent son parcours - chacun apparaissant pour répondre à un aspect de sa personnalité. «Il monte dans tous les bateaux, comme moi plus jeune. Sans juger.»

Ainsi, son personnage est souvent «heurté», et les lecteurs avec lui. «J'ai eu essentiellement un rapport d'initiation avec mon entourage. Je ne vois pas ce que je serais sans certaines personnes qui ont été déterminantes dans ma vie, pas faciles. On m'a à la fois donné des coups sur la tête et tenu la main. On me disait: "Tu peux traverser ça, tu ne peux pas l'éviter, même si ça va cogner dur."»

On ne se connaît bien qu'en allant au bout de soi-même, croit de toute façon Robert Lalonde, qui s'est inspiré d'un événement vécu pendant son adolescence pour écrire le moment-clé du livre. Un événement qui aurait pu tourner au tragique, qui se déroule dans le fameux hangar. «J'ai été marqué par ça. Mais c'est important de montrer que c'est complexe. Quand est-ce qu'on dépasse la frontière du tolérable à l'intolérable? Je ne le sais pas. Mais ça m'a amené, dans ma vie, à comprendre les débordements. J'essaie d'emmener les lecteurs dans ce twilight zone où on a peur.»

Lyrisme

On retrouve dans ce roman l'écriture fougueuse et l'impétuosité de Robert Lalonde, ainsi que son amour doublé d'un respect craintif de la nature. Mais l'auteur n'a pas l'impression de se répéter. «Les obsessions, les impressions fortes que la vie m'a données comme narrateur ne sont pas si nombreuses que ça.»

Cette fois, il est peut-être plus que jamais entré dans la quête d'absolu adolescente, le désir, l'ambiguïté sexuelle, la limite pas toujours claire entre l'amitié, l'amour et la haine. «J'aime cette période de grande incertitude à l'égard de l'existence. C'est vrai que j'ai beaucoup travaillé l'état d'âme du personnage, son exaltation, son rapport à l'absolu, que je suis entré dans le lyrisme. Par exemple, il apprivoise une oie, et son attachement à cette bête sera sa mesure pour le reste de sa vie. Pour ça, il fallait le suivre jusqu'au bout avec son oie, dans sa tentative de la faire s'évader, quitte à ce qu'on soit tanné.»

C'est que Robert Lalonde préfère les histoires qui ont un «tiroir de fond», ne pas tout donner tout cuit aux lecteurs et même les faire travailler un peu. «J'aime donner l'impression qu'il y a anguille sous roche.» Pour lui qui juge que «trop de livres ont l'air d'avoir été écrits trop rapidement», l'écriture est surtout un travail de réécriture et d'élagage, afin d'atteindre l'essentiel. «Par exemple, les seuls personnages qui sont restés sont vraiment signifiants pour le personnage, ils entrent dans sa zone de déséquilibre, de perte de pied.»

L'idée est d'atteindre l'essence: la version définitive compte 250 pages de moins que le premier jet. «J'ai une boîte de retailles énorme dans mon ordinateur, et je ne sais plus quelle page appartient à quel manuscrit!», dit-il, amusé.

Au bout d'une heure et demie d'entrevue pendant laquelle le comédien aura raconté une multitude d'anecdotes, l'auteur, cité de nombreux écrivains et l'homme, dévoilé un peu de lui, Robert Lalonde est parti répéter la nouvelle pièce de Michel Marc Bouchard, Christine la reine garçon, montée par Serge Denoncourt au TNM. L'amoureux des mots qui a joué Gauvreau et Tchekhov est encore souvent sollicité pour participer à des créations - on l'a vu l'an dernier sur la scène du Théâtre d'aujourd'hui dans Moi, dans les ruines rouges du siècle d'Olivier Kemeid. «On vient me chercher pour défendre des textes probablement parce qu'on sait que j'ai une sensibilité à l'écriture.»

Il croit au pouvoir salvateur de la littérature et de l'art. Son personnage sera mis sur cette piste «de faire dire aux mots autre chose que la vision commune». «Ça correspond de façon strictement autobiographique à ma propre salvation. Je ne sais pas où je serais sans ça.»

Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle

Robert Lalonde

Boréal, 184 pages

Extrait

Je voulais frapper, tuer et en même temps disparaître dans le peu de jour sale qui restait entre les branches. Aimer est une malédiction, j'aurais dû le savoir. D'abord il vous pousse des ailes, puis, croyant voler, vous volez, et bientôt une grande lame effilée surgit d'un nuage et vous tranche les plumes et vous tombez dans un grand tourbillon de vent et de sang.

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