Deux ans après la publication du premier tome de sa trilogie Le siècle, consacrée au XXe siècle, le prolifique auteur Ken Follett en lance le deuxième tome. Après La chute des géants, le destin entremêlé de cinq familles de 1911 à 1924, il offre L'hiver du monde, où les enfants nés de ces familles traversent à leur tour un conflit international, la Deuxième Guerre mondiale.

Le romanoccupe déjà les premiers rangs des palmarès anglophones... et devrait faire de même, sous peu, dans les francophones.

On estime qu'en 1946, plus de deux millions de femmes allemandes ont été violées par les soldats soviétiques de l'Armée rouge, au moment de la défaite de l'Allemagne. Dans L'hiver du monde, un des personnages les plus attachants, Carla, dresse ce terrible constat: «Elle ne connaissait pas une seule femme âgée de 15 à 55 cinq ans qui n'ait été violée par au moins un soldat russe.»

C'est un des nombreux faits qui a frappé Follett pendant ses recherches et qu'il lui importait de relater, aux côtés d'événements plus fameux: «Les Allemands n'aiment pas en parler, on comprend pourquoi, explique-t-il d'un hôtel de Francfort. Et les Russes refusent toujours de reconnaître que cela s'est bel et bien passé. Mais comment ne pas songer aux conséquences? Je pense qu'il doit y avoir beaucoup d'Allemands un peu plus âgés que moi dont le père est un violeur de l'Armée rouge, poursuit l'auteur de 63 ans. Ils ne le savent peut-être pas, leur mère ne leur a pas dit. Avec raison...»

C'est dans le court silence qui suit qu'on saisit une des forces de Follett: ce petit-fils de mineur gallois devenu multimillionnaire (on estime ses actifs à 77 millions de dollars) éprouve une véritable empathie et compassion pour l'être humain.

Est-ce parce que nous sommes, nous aussi, déjà attachés à une partie des personnages que nous prenons plus d'intérêt et de plaisir à lire ce deuxième volume que le premier? Car la centaine de personnages qui figurent dans les 996 pages de L'hiver du monde sont les descendants de la centaine de personnages qui se révélaient dans les 1008 pages de La chute des géants! Ils ont désormais un passé pour nous, et leur histoire va se mêler à l'Histoire.

Ou est-ce parce que le rythme des choses s'accélère de 1933 à 1949? Ou que la sexualité y est plus présente? Les femmes, plus intrépides? Ou la Deuxième Guerre mondiale, plus fraîche à nos mémoires?

Tout expliquer

C'est une autre force de Follett, cette façon très personnelle de marier histoire, fiction, pédagogie et sentiments. Que ce soit les enjeux de la guerre civile espagnole, la fission nucléaire, les motivations économiques des Japonais pour déclarer la guerre aux États-Unis ou... les dessous de la masturbation féminine, Follett explique tout. «Mon Dieu, j'espère que je ne suis pas le seul à connaître ce dernier sujet!», lance-t-il en riant.

Mais surtout, il démontre qu'il n'y a pas vraiment de bons et de méchants. Ainsi, si les bombardements allemands ont détruit Londres pendant la Deuxième Guerre, c'est d'abord parce que les Britanniques avaient procédé de même sur le territoire allemand, auparavant. Les uns et les autres ont leurs raisons d'agir, toujours pleinement justifiées de leur point de vue. «Je sais que j'écris à la manière des écrivains victoriens du XIXe siècle, explique Follett. J'aime beaucoup cette période de la littérature, tant britannique que française ou allemande. Les décisions prises par les personnages et les gestes qu'ils posent changent le cours des événements. Alors que dans la littérature du XXe siècle, les choses arrivent souvent par hasard et les personnages sont ballotés, impuissants... Ce n'est pas pour rien que les romanciers qui publient de gros livres écrits dans la tradition romanesque du XIXe occupent souvent la tête des palmarès, de nos jours. Les lecteurs veulent des histoires où les personnages décident, agissent et modifient le cours des choses. D'ailleurs, avec les réseaux sociaux, le XXIe siècle ressemble beaucoup plus au XIXe siècle qu'on ne le pense!»

Des invraisemblances

Bien sûr, dans cet énorme livre, il y a des invraisemblances. Un exemple? Le personnage de l'Américain Woody Dewar travaillera à l'édification de l'ONU, se retrouvera en URSS pour négocier avec Staline, deviendra photographe de guerre et vivra l'attaque japonaise de Pearl Harbour... tout en se pâmant d'amour pour une jeune femme! «Mais je n'écris pas des livres d'histoire, je n'ai pas à être équitable ou réaliste avec mes personnages», rétorque Follett en riant.

S'il engage un chercheur à temps partiel pour lui fournir certains éléments (photos, films, témoins...) et confie son manuscrit à des experts historiens pour en vérifier l'exactitude factuelle, Ken Follett fait ses recherches et écrit tout seul. Six jours par semaine. Dix heures par jour. Comme son grand-père mineur, il fouille, il pioche, il creuse.

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L'hiver du monde (trilogie Le siècle). Ken Follett. Robert Laffont, 996 pages. En magasin le 25 octobre.

Extrait L'hiver du monde

«Le monde entier est hostile à la liberté». Joanne désigna le livre posé sur ses genoux, un best-seller intitulé Journal de Berlin dont l'auteur était un journaliste de radio du nom de William Shirer. «Les nazis tiennent l'Europe, les bolcheviks la Russie et maintenant, les Japonais sont en train de mettre la main sur l'Extrême-Orient. Je ne vois pas comment l'Amérique peut survivre dans un monde pareil. Il faut bien que nous ayons des partenaires commerciaux! »