Premier roman foisonnant et habilement construit, La romance des ogres est un livre gigogne dans lequel plusieurs histoires cohabitent et où tout le monde mange tout le monde... Parce qu'on est toujours l'ogre de quelqu'un.

Stéphane Choquette n'a pas le parcours habituel des jeunes auteurs de sa génération. S'il est passé par les études littéraires, le jeune homme de 33 ans a ensuite bifurqué vers la science et travaille maintenant à Sherbrooke dans un centre de recherche. Père d'une petite fille, il se lève très tôt tous les matins, et écrit avant de partir pour le boulot.

La romance des ogres arrive en cette fin de saison comme une surprise agréable et pas aussi légère qu'elle en a l'air. On y suit Samuel, scientifique dont le mariage bat de l'aile, qui croise une jeune femme lors d'un congrès au Japon. Cette rencontre fait remonter en lui les souvenirs de sa relation avec une auteure à succès, Ellen Cleray, alors qu'il n'avait que 16 ans. Il est sorti évidemment blessé de cette aventure, menée de bout en bout par une femme manipulatrice et égocentrique. «Moi, j'aime bien Ellen, dit Stéphane Choquette. Elle n'est pas nécessairement cynique, plutôt abîmée. Je pense aussi qu'à chaque nouvelle histoire, elle se croit. Est-ce que je pense que tout le monde est l'ogre de quelqu'un? Non. C'est une partie de la métaphore du livre, mais on peut parfois faire du tort à une personne sans faire exprès.»

Les souvenirs de Gabriel se superposent aux mémoires de l'auteure, le tout entrecoupé par une histoire d'horreur écrite par elle - une nouvelle intitulée La décapitation de l'ogre, qui n'y va pas de main morte dans le sanglant. «La peur est un moteur important dans la vie, une balise pour beaucoup de nos actions. C'est vrai que l'horreur m'intéresse, pour cette raison, raconte Stéphane Choquette d'une voix très douce qui tranche avec les horreurs décrites dans son livre. Mon prochain roman va d'ailleurs beaucoup plus loin dans l'horreur.»

Stéphane Choquette a voulu écrire un roman sur notre perception de la réalité, faisant raconter l'histoire d'Ellen par un témoin passif - Samuel -, confrontant les versions pas toujours identiques et laissant planer le doute sur son véritable narrateur, qui parfois en invente des bouts. «J'ai mon petit doute sur qui il est...», rigole-t-il. «Nous sommes tous en représentation, on se fait tous, dans notre tête, une idée de l'histoire de la personne qui est assise en face de nous. Et qui est rarement conforme à la vraie histoire.»

Il s'est donc amusé avec le jeu des perceptions, la mise en abîme, le rapport entre le vrai et le faux. Le tout sur un ton vif et léger, mené tambour battant et animé par un sens du dialogue très maîtrisé, aussi drôle que crédible. «J'écris de manière plus intuitive que cérébrale ou intellectuelle. Mais j'aimais l'idée des dialogues, parce que ça montre la manière dont on se raconte aux autres. J'avais aussi envie d'un style plus dynamique, moins dans les descriptions et l'introspection, plus proche du cinéma.»

En fait, il n'avait surtout pas envie de s'ennuyer en écrivant. Il préférait aller dans l'imaginaire pur, raconte-t-il, que dans l'autofiction. «Des écrivains le font très bien, mais pour moi, je trouve ça parfois un peu limité. Il faut que notre vie ressemble à un roman!» Surtout, il ne voulait pas raconter son histoire d'une manière linéaire. «C'est plus difficile parfois pour faire les liens, mais c'est plus stimulant que d'écrire un récit qui va de A à Z en ligne droite.»

Au-delà de la structure, Stéphane Choquette s'est basé sur de véritables préoccupations pour écrire ce livre. Particulièrement sur son observation des relations de couple, dont il ne fait pas un portrait très rose - la femme de Samuel, Justine, est malheureuse et a sacrifié sa carrière pour s'occuper des enfants et de la maison. «Ce n'est pas mon expérience, mais je vois beaucoup ça autour de moi. Des couples inégaux dans le partage des tâches, des hommes qui s'engagent moins, des mères monoparentales.»

S'il a écrit La romance des ogres pendant que sa conjointe était enceinte en se disant «C'est maintenant ou jamais», il découvre aujourd'hui avec surprise que même avec un bébé, il dispose de plus de temps pour écrire, parce que «plus focalisé». «Il y a des artistes pour qui l'attachement et les responsabilités sont un frein à la création. Pas moi, parce qu'il y a plus de préoccupations dont j'ai envie de parler, et plus de choses auxquelles je tiens. Et maintenant que j'ai un enfant, j'ai beaucoup plus peur qu'avant.»

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La romance des ogres. Stéphane Choquette. Québec Amérique, 504 pages.