Recueil de nouvelles disjoncté écrit par un nouveau venu prometteur, Malgré tout on rit à Saint-Henri est autant le portrait d'un quartier et de ceux qui l'habitent qu'un voyage au bout de l'imagination et du processus créatif. Entre le condensé d'humanité et les tourments de l'écrivain, voilà un livre qui ratisse large sans faire de concession.

Daniel Grenier a 31 ans, est au doctorat en études littéraires à l'UQAM et vient de Brossard. Il a écrit sur Saint-Henri parce que c'est là qu'il s'est posé en arrivant à Montréal, et que ce quartier lui a permis de bien connaître la «grande ville» sur laquelle il avait beaucoup fantasmé. «Mais je pourrais m'installer n'importe où dans le monde et ce lieu-là m'inspirerait. Quand je vivais dans le 450, je voulais intéresser mes amis du 514 à ce qui s'y passait.»

Dans ce premier livre dont le titre est tiré d'une chanson de Raymond Lévesque, Daniel Grenier nous balade de la rue Rose-de-Lima au marché Atwater en passant par le square Sir-George-Étienne-Cartier et le métro Lionel-Groulx. Saint-Henri, c'est aussi le quartier mythique de Florentine Lacasse dans Bonheur d'occasion - «Gabrielle Roy est partout dans le livre, même si je ne la nomme jamais.» - et du documentaire À Saint-Henri le 5 septembre, deux oeuvres qui l'ont inspiré.

«Montréal n'appartient à personne et on est toujours dans le fief de quelqu'un. Mais on s'entend que le Plateau, c'est brûlé.» L'auteur aime de Saint-Henri ce mélange très actuel de secteur industriel et d'embourgeoisement qui crée beaucoup d'ébullition. Un autre roman qui se passe dans le Sud-Ouest vient d'ailleurs tout juste de sortir (Griffintown de Marie-Hélène Poitras) et témoigne de cette effervescence. «Peu importe où on habite à Montréal, on aspire tous à être le prochain Plateau!»

Alors que la mouvance littéraire du moment nous amène souvent loin de la métropole, Daniel Grenier se sent tout de même proche de cette génération d'auteurs qui est sortie de la ville pour inventer une nouvelle mythologie québécoise. «Quand William S. Messier parle de ses Cantons-de-l'Est dans Épique, c'est tout son imaginaire qui surgit. C'est la même chose dans Arvida de Samuel Archibald: on se retrouve dans un univers très personnel bien plus que dans la représentation d'une ville.»

Saint-Henri est donc pour lui un prétexte pour faire exploser son imagination et il revendique la forme éclatée de son recueil. Son filon principal est surtout le langage et «la manière dont il peut influencer les événements». Il affirme d'ailleurs avoir voulu y rendre l'oralité du vernaculaire autant que la puérilité des conversations avec ses amis, truffant les soliloques et les dialogues de «faque» et de «j'ai pas». «On n'est pas dans le joual politisé des années60, mais je ne suis pas capable non plus de travailler avec une langue neutre. C'est très complexe l'oralité et ça m'a fasciné d'essayer de trouver la façon juste de dire les choses, et de le faire jusqu'au bout.»

Au-delà de la langue, le lien se fait aussi entre les nouvelles plus costaudes avec une série de petits en-cas qui mettent en scène de manière récurrente des (vrais) sans-abri du métro, des anecdotes banales qui prennent un tour incroyable dans la vie des protagonistes, ou un écrivain en panne d'inspiration souffrant d'hallucinations. «On fait tous ça dans un premier livre, écrire sur l'acte d'écrire. J'imagine qu'avec la maturité, on s'en écarte et qu'on a plus envie de raconter la vie des gens.»

Humour

Daniel Grenier est conscient du paradoxe: oui, il a écrit un livre «très pété», mais en même temps qui «reste sur le plancher des vaches». Ainsi, tous les types de lecteurs y trouveront leur compte. «Ce sont des nouvelles qui ont été écrites sur une période de 10 ans. On voit que les plus vieilles sont celles où j'ai fait un trip plus formel, alors que les plus récentes sont moins in your face. Mais la forme ne cache jamais l'histoire.»

Malgré tout on rit à Saint-Henri reste un livre accessible, entre autres grâce à l'humour, l'ironie et l'autodérision qui se glissent partout, que ce soit dans la série «Entendu à Saint-Henri», instantanés hilarants tirés de conversations à la fois éminemment concrètes et totalement surréalistes, dans Les mines générales, où le personnage central s'improvise sauveur d'une famille d'immigrés brésiliens, dans Chambre108, où un vieil homme tente de s'échapper d'un CHSLD, ou dans Chèque en blanc, où la déception amoureuse s'incarne dans l'incapacité d'un chum de tenir sa promesse de réparer les portes d'armoire qui coincent.

L'objectif principal de Daniel Grenier est maintenant de terminer son doctorat et il n'est pas pressé d'écrire un prochain livre. Surprenant de la part d'un auteur qui envoie des manuscrits aux maisons d'édition depuis l'âge de 18 ans. «J'ai envoyé mon premier chez Gallimard. C'était super métatextuel, il y avait une personnification de Sollers dedans, je me disais: quand Sollers va lire ça, il va capoter...»

La maturité a donc du bon. Il est fier de ce premier livre enfin publié, qu'il n'a jamais vu prendre la forme d'une grande fresque ou d'un roman choral. «Le grand roman de Saint-Henri existe déjà, et celui qui voudra en écrire un autre est mieux de se lever de bonne heure, parce qu'on l'attend avec une brique et un fanal!»

_________________________________________________________________________

Malgré tout on rit à Saint-Henri. Daniel Grenier. Le Quartanier, 254 pages.