Des Filles de Caleb à La cordonnière en passant par Le roman de Julie Papineau, les sagas historiques ont la cote au Québec. Plusieurs sont de phénoménaux succès d'édition, et Michel David, mort l'été dernier à 65 ans, en est le meilleur exemple. Publiées au rythme de deux livres par année, chacune de ses séries a su atteindre un public large et diversifié.

Même combattant un cancer dans son lit d'hôpital, Michel David a continué à écrire. Prolifique, l'auteur mort en août 2010 l'aura été jusqu'à la fin. Le quatrième et dernier tome de la série Un bonheur si fragile, paru peu après sa disparition, a reçu l'automne dernier le Grand prix du public du Salon du livre. Mais Michel David a laissé beaucoup plus à ses lecteurs: une nouvelle saga, Au bord de la rivière, dont le premier de quatre tomes est sorti ce printemps. Et une autre, qui comptera deux épisodes, suivra.

«Michel David a publié autour de 8500 pages depuis 2005, et quand tout sera terminé à l'automne 2012, ça fera environ 10000 pages, dit son éditeur chez Hurtubise, Arnaud Foulon. Ses quatre sagas publiées chez Hurtubise ont connu un succès phénoménal: La poussière du temps s'est vendue à 200 000 exemplaires, et les suivantes, À l'ombre du clocher, Chère Laurette et Un bonheur si fragile, ont toutes trouvé au moins 150000 preneurs. En comptant les exemplaires vendus chez Québec Loisirs de même que ceux vendus chez France Loisirs, la maison d'édition estime que Michel David frôle le million de livres vendus.

«Au Québec, on est friands de téléséries, et les livres de Michel ont cette saveur, estime Arnaud Foulon. Il parle d'un passé récent, il est un conteur formidable qui a le sens de l'anecdote et du dialogue et qui sait accentuer le côté théâtral de ses personnages. Maurice, dans La poussière du temps, on va en parler encore dans 10 ans!» Michel David lui-même en était conscient: il ne se passait pas grand-chose dans ses romans. Pourtant, le public suivait, constate son fils, Jean-Michel David. «On n'arrive pas à lâcher les romans de mon père parce qu'on veut voir ce qui va arriver à ces gens qui nous ressemblent. Chaque livre, c'est comme une fenêtre par laquelle on peut observer ses voisins.»

Michel David faisait beaucoup de recherches pour ses romans, dont la plupart se déroulent sur plusieurs décennies du XXe siècle. Le plus récent, lui, se déroule en 1870 et raconte la rivalité entre des Irlandais et des Canadiens-Français installés de chaque côté de la rivière Nicolet. «Ses livres nous font toujours sentir l'époque dans laquelle ils se déroulent», estime Arnaud Foulon. Mais c'était l'histoire avant tout, souligne Jean-Michel David. «Si ça ne servait pas l'histoire, ce n'était pas bon. Il faisait de la recherche, mais ne voulait pas que ça ressemble à un cours magistral.»

Infatigable

Michel David était un travailleur infatigable, écrivant six jours pas semaine huit heures par jour et suivant rigoureusement ses plans. «Il avait un nombre de pages déterminé à écrire par jour, raconte Jean-Michel David. Il pouvait presque dire à l'avance à quel moment il allait terminer un manuscrit!» Cet ancien prof de français avait rédigé plus de 150 manuels scolaires avant de se lancer dans la littérature avec Le petit monde de Saint-Anselme, publié chez Guérin en 2003.

Mais c'est en passant chez Hurtubise avec La poussière du temps qu'il a été propulsé vedette. Il faisait aussi sa part, participant à tous les salons, acceptant les invitations des bibliothèques, des écoles... «Il adorait rencontrer son public, pour lui c'était impensable de ne pas le faire. À l'hôpital, ça lui manquait», se souvient son fils. Arnaud Foulon rigole. «Il a donné quelques conférences dans sa chambre pour les infirmières!»

C'est ainsi que Michel David s'est bâti un énorme bassin de lecteurs, composé majoritairement de lectrices âgées entre 40 et 70 ans, bien sûr, mais dépassant aussi ce groupe cible associé à ce genre de littérature. «Je dirais qu'environ 40% de son lectorat est composé d'hommes, estime Arnaud Foulon. Ç'a débordé rapidement.»

Les livres de Michel David ne sont pas de ceux qui se retrouvent sur la liste des finalistes du prix du Gouverneur général, admet Arnaud Foulon, mais ce qui comptait pour lui, c'était sa relation avec les lecteurs. Et s'il avait le succès modeste, ajoute Jean-Michel David, le prix du public remporté au Salon du livre de Montréal en novembre dernier lui aurait fait très plaisir. «En tout cas, pour nous, ç'a été comme un cadeau et ç'a atténué un peu la perte. Mon Dieu qu'il aurait été content!»

L'amour du public ne se dément pas depuis sa mort, et le premier tome de Au bord de la rivière s'est envolé à une vitesse record lors de son arrivée en librairie, à la mi-avril. «Après un mois et demi, on était déjà partis en réimpression», note Arnaud Foulon. Devant ce succès toujours croissant - certains livres seront publiés bientôt en anglais-, l'éditeur se dit particulièrement heureux de l'accueil en France, ou même dans des régions éloignées de Montréal. «L'Abitibi, c'est pas mal loin du Faubourg à m'lasse!» lance-t-il.

Ce qui lui fait dire que c'est avec son talent de conteur que Michel David a su rallier les lecteurs. «Mon père prenait son travail au sérieux, mais ne se prenait pas au sérieux», dit Jean-Michel David. Et il regardait avec un sourire en coin ses personnages se débattre avec leurs problèmes. «Il n'y a pas de gros drames dans les livres de Michel, dit Arnaud Foulon. Mais dans ses personnages plus grands que nature, dans le choix des mots, dans sa poésie du quotidien, les gens se reconnaissent.»

Photo: archives La Presse

Michel David