Pourquoi les hommes partent-ils à la guerre? C'est en se posant cette simple et grave question que l'auteure jeunesse Charlotte Gingras a eu l'idée de faire un roman sur ce sujet peu abordé dans notre littérature. C'était il y a trois ans, les bulletins d'information montraient régulièrement des images de cercueils de soldats tués en Afghanistan, et Charlotte Gingras était en colère.

Trois ans plus tard, sa colère est retombée, mais Guerres, le roman pour «vieux ados» qui est né de cette interrogation, pose plus de questions qu'il ne donne de réponses. On y suit une famille de Québec qui survit tant bien que mal à l'absence du père, Nathan, parti en mission en Afghanistan pour, d'une certaine manière, finir le travail qu'il n'avait pas pu accomplir en Bosnie. Mais il laisse derrière lui une femme dévastée, et trois enfants qui feront les frais de sa décision: la toute petite Mathilde, Luka, 9 ans, qui cherche dans la violence à comprendre son père, et Laurence, 15 ans, qui maîtrise mal sa colère mais finira par prendre en charge sa famille. Tous deux, en alternance, sont les narrateurs de cette histoire bouleversante qui s'adresse peut-être aux adolescents, mais qui fait réfléchir les adultes.

«Je voulais montrer les effets collatéraux lointains de la guerre, et la famille en devient le miroir parce qu'une autre guerre s'y déroule. Il y a la grande guerre, et toutes les autres», explique l'auteure, qui se demande encore aujourd'hui: où est la guerre en nous? «Je n'ai que des pistes de réflexion. Mais ce n'est pas moi qui vais régler le pourquoi de la guerre...»

Elle l'a vite compris, son rôle n'est ni de parler de géopolitique ni de décrire des batailles. Elle parle plutôt de ceux qui restent et pour ce faire, elle s'est documentée en faisant des entrevues et en lisant. Et elle n'a jamais vraiment réussi à répondre à sa question de départ sur ce qui pousse les soldats à partir. Le personnage de Nathan, qu'elle a fini par aimer, en est la preuve. «Peut-être qu'il y a dans la culture masculine un désir d'adrénaline et celui d'être un héros... C'est un mélange explosif en tout cas, et quand ils partent, ils sont jeunes, inconscients. Ils pensent qu'ils s'en vont vivre quelque chose d'excitant et ils ne s'en vont pas pour être blessés. Ils ne sont pas prêts à ça, et plusieurs ne s'en remettent jamais.»

Charlotte Gingras se défend bien pourtant d'avoir écrit un livre antimilitariste. «Je n'ai pas voulu m'en prendre aux soldats, mais plutôt poser des questions sur la pertinence de certains gestes, nommer des choses différentes sur la guerre.» Ces questions sont portées par chacun des personnages, autant par Laurence et Luka, qui ont perdu tous leurs repères, que par ceux qui les entourent.

Point de départ

L'auteure sait qu'elle a écrit un livre dur, qui sera peut-être difficile à recevoir pour les lecteurs. «Ce que j'aimerais, c'est que ce livre serve de point de départ pour des discussions dans les écoles, qu'il interpelle les jeunes et leur entourage. C'est la première fois que je souhaite que ça arrive.» Elle est pourtant habituée à prendre des risques et à écrire sur des sujets plus sensibles touchant les adolescents. Ophélie, son précédent roman qui a connu un beau succès (finaliste au prix du Gouverneur général en 2008 et lauréat du Prix du livre jeunesse des bibliothèques de Montréal en 2009), met en scène deux jeunes marginaux, deux «chats de ruelle» qui s'apprivoisent et finissent par vivre une belle histoire d'amour, tant émotive que physique. «Je ne fais pas exprès pour choisir ce genre de sujet. C'est mon instinct qui m'y mène», explique l'auteure, qui a un talent rare pour entrer dans la tête d'un jeune de 16 ans. «J'ai cette qualité-là, cette facilité de retourner dans l'émotion de cet âge, la colère, la difficulté de se comprendre et d'être compris.»

L'adolescence, dit-elle, est une période extraordinaire. «J'ai toujours écrit sur la construction identitaire, et mes héros doivent passer par une épreuve pour y arriver. Ce ne sont pas des livres faciles en général, mais c'est vrai que celui-ci est plus dur. Par contre, mes fins sont toujours ouvertes: ça fait partie du métier d'écrivain jeunesse.»

Guerres, traversé par un amour profond - celui des deux enfants pour la petite Mathilde, inconditionnel- et une tristesse infinie - le serpent dans le ventre de Laurence, la détresse de son petit frère-, se termine d'ailleurs sur une note d'espoir. Chacun est sorti de son «bunker» et la famille a retrouvé un certain équilibre. Un cadeau que n'aurait pas fait Charlotte Gingras aux adultes. Mais aux adolescents, elle offre la lumière.

Guerres

Charlotte Gingras

La courte échelle, 160 pages