De Ramsès II à Moubarak. Trente-deux siècles séparent les deux pharaons, mais Robert Solé, le romancier-journaliste, abolit la frontière du temps. Deux livres sortiront en mai à Paris, en juin ici, consacrés à chacun. La vie éternelle de Ramsès II au Seuil et Le pharaon renversé aux éditions des Arènes. Pour ce dernier, il s'est battu contre la montre.

«J'ai remis mon manuscrit la nuit dernière.» C'est donc dire qu'il l'a donné une fois rendu ici. Nous l'avons rencontré mercredi au Salon international du livre de Québec, où il est l'un des invités d'honneur. «J'ai travaillé 14 heures par jour.» Mais depuis 25 ans qu'il écrit sur l'Égypte, il ne pouvait, dit-il, passer sous silence un événement de cette importance pour le monde arabe.

Le pharaon renversé raconte les 18 jours qui ont mené à la chute d'Hosni Moubarak. Il inclut un cahier de photos sélectionnées et commentées par Robert Solé. Pour cela, il est retourné en Égypte, après y être allé présenter son dernier roman, Une soirée au Caire, juste avant le soulèvement populaire. Il s'abstient, dit-il, de faire des prophéties. Chaque jour surviennent de nouveaux développements. «Vouloir juger Moubarak, arrêter ses fils, on n'aurait pas imaginé ça il y a deux mois.»

Rien n'est joué. Ce qui n'empêche pas l'espoir. Robert Solé observe que la révolution de février ne s'est pas faite au nom de l'islam. La foule, à la place Tahrir, réclamait plutôt la démocratie, la liberté. Gagnera-t-elle? Si oui, le poids de l'Égypte, avec sa population qui dépasse les 80 millions, permet de croire que d'autres pays autour gagneront aussi une vie meilleure.

S'il n'ose anticiper l'avenir, l'écrivain ne se prive pas de faire des constats sur la situation qui existait avant la révolte. Amira, professeur d'histoire, qui est l'un des personnages du roman, exprime son ras-le-bol: «Hier, deux de mes étudiantes ont voulu assister aux cours voilées de la tête aux pieds. Il ne nous manquait plus que ça! Ce pays est en train d'étouffer, entre des fous furieux qui mettent de la religion partout et un pouvoir épuisé et largement corrompu. Nous avons besoin d'air. Nous avons besoin de justice sociale et de démocratie.»

L'amour du français

Ce roman, paru au Seuil en septembre dernier, est le prolongement du Tarbouche, ouvrage paru en 1992 qui a connu un très grand succès. C'est la même famille, la même maison, imaginées par Robert Solé, qui reviennent. Charles, le narrateur qui est aussi un acteur du roman, puisqu'il a mission de vendre la demeure ancestrale, tient beaucoup cependant de l'auteur. Le parcours est le même. Enfance et adolescence en Égypte. Dans ce pays arabe, occupé à l'époque par les Anglais, le français jouissait d'un statut particulier. «On a vécu l'amour que vous avez pour la langue française [...] Ce n'était pas une langue coloniale, mais choisie.»

Si bien que Robert Solé est devenu journaliste au quotidien Le Monde. En 41 ans de carrière, il a occupé diverses fonctions: correspondant à Rome, à Washington, chef du service Société, rédacteur en chef et directeur adjoint de la rédaction puis, jusqu'à sa retraite le 1er mars dernier, directeur du Monde des livres. Ses lecteurs vont regretter le billet quotidien qu'il signait dans ce journal, toujours empreint d'humour. «La vie, c'est le drame; mais ce n'est pas que le drame.»

Drôle et dramatique

Une soirée au Caire se situe dans ce registre. On rit beaucoup en le lisant. Les personnages sont nombreux et pittoresques. Dina, la tante de Charles qui habite la demeure ancienne et se plaît à recevoir la bonne société pourrait à elle seule remplir un roman. Belle femme qui s'intéresse à tout. «Ma mère est comme ça. Elle a 90 ans et suit l'actualité.» Elle vit à Paris.

C'est en 1963, comme dans le livre, que la famille de Robert Solé a quitté Le Caire. Il avait 17 ans. «Ce sont des années qui comptent double ou triple pour un romancier.» C'est donc normal que le pays natal soit sa principale source d'inspiration. Il a même écrit un Dictionnaire amoureux de l'Égypte (Plon). À la différence du Tarbouche, qui s'arrête à l'exil, le nouveau roman se rend à l'époque actuelle. Il donne à voir la montée de l'islamisme, dont l'étendue est sans limites. Robert Solé approuve la loi française qui interdit le niqab dans les lieux publics.

Au-delà de ces considérations, Une soirée au Caire permet un voyage au pays des pharaons, celui d'aujourd'hui comme d'hier. Le journal fictif de l'oncle Michel aide à retracer le cours de l'histoire. L'introduction dans le récit d'archéologues est l'occasion de remonter encore plus loin dans le temps. Enfin, pour ceux qui en voudraient davantage, La vie éternelle de Ramsès II, attendu en juin, comblera les attentes. La momie, vieille de 32 siècles, reprend vie grâce aux bons soins de Robert Solé.

Robert Solé sera au Salon du livre de Québec samedi et dimanche.