Peu d'albums enregistrés en spectacle tiennent leurs promesses. Avec Moon Grill, capté en studio devant quelques fans et amis, Martin Léon parvient pourtant à aspirer l'auditeur dans sa bulle. L'envol est fabuleux et le voyage, exaltant.

Fin janvier, ma collègue Marie-Christine Blais a été complètement emballée par le spectacle que Martin Léon a présenté au National. «Extraordinaire», titrait-elle, affirmant ensuite avoir goûté à des versions «revues et magnifiées» des chansons de Kiki BBQ et Le facteur vent. Elle écrivait aussi que la musique occupait «toute la place» et que l'assistance était «heureuse au cube».

 

Son enthousiasme est partagé par nul autre que... Martin Léon lui-même. Il ne clame pas que son spectacle était extraordinaire, non, mais il acquiesce vite lorsqu'on suggère qu'il traverse une très bonne période depuis la sortie de son disque Le facteur vent, en novembre 2007. «C'est une super bonne passe», confirme-t-il. Et ça devrait se poursuivre avec la parution, mardi, d'un album live emballant intitulé Moon Grill.

Ce n'est pas un mince exploit: peu de disques enregistrés en spectacle sont vraiment convaincants. «Je trouve que ça sonne mal, les albums live, que c'est souvent mal réalisé», dit d'ailleurs le principal intéressé. Trop heureux des nouveaux arrangements écrits pour ses chansons préférées de Kiki BBQ et Le facteur vent, c'est-à-dire la matière de son plus récent spectacle, il a tenu à en garder un souvenir sur bande.

Martin Léon a proposé à sa compagnie de disques de faire un show dans un studio et de le capter «juste pour lui». L'idée a évolué et, début avril, deux soirs de suite, son groupe et lui se sont produit au Studio Piccolo devant une vingtaine de fans et d'amis. «C'est quelque chose que j'ai toujours voulu faire», assure-t-il.

Voyeurisme auditif

Détail intrigant, lors de ces séances d'enregistrement, chaque spectateur portait un casque d'écoute qui lui permettait d'entendre exactement la même chose que le chanteur et ses musiciens - Mélanie Auclair (violoncelle, cavaquinho, percussions), Martin Lizotte (orgue, wurlitzer), Rick Haworth (guitares et pedal steel), Alexis Dumais (basse) et Pascal Racine-Venne (batterie). «Je voulais partager le plus possible de ce qu'est mon métier, partager le plus possible cet instant-là, explique Martin Léon. C'était une fantaisie.»

Élisabeth, une fan de l'artiste qui a était en studio le premier soir, a effectivement eu le sentiment d'avoir accès à quelque chose de secret. «J'avais vraiment l'impression d'être dans leur monde, de ne pas être à ma place, raconte-t-elle. Quand j'ai enlevé mes écouteurs, j'entendais juste la voix et le gling-gling des guitares. J'avais l'impression d'assister à quelque chose de très intime, presque d'être voyeuse.» Le casque d'écoute remis sur ses oreilles, elle planait.

«Il y a des chansons là-dessus qui sont bien meilleures que sur les albums studio, parce qu'elles sont vraiment senties, estime Martin Léon. J'avais besoin de ces musiciens pour achever une expression que je n'avais pas encore menée à son aboutissement en studio.» Il admet néanmoins qu'on ne fait pas entrer 25 personnes dans sa bulle aisément et qu'il a trouvé l'expérience «très intimidante». Surtout lors de la première session d'enregistrement, qui s'est déroulée sous un éclairage cru, pour faire plaisir à l'oeil d'une caméra.

Élisabeth raconte que le chanteur a d'abord été déstabilisé par des toussotements, qu'il a repris plusieurs morceaux et qu'il semblait très fatigué à la fin de la soirée. «Il m'a paru très perfectionniste et très stressé. À fleur de peau», résume-t-elle. De son point de vue, cette expérience en studio correspond exactement à ce que Martin Léon offre en spectacle, «mais en plus touchant».

Poussée créative

Moon Grill clôt un cycle d'écriture amorcé il y a 10 ans, à l'époque de Kiki BBQ, estime Martin Léon. Il ne risque d'ailleurs pas de laisser s'écouler encore cinq ans avant de publier un autre disque studio. Ces séances d'enregistrement au Studio Piccolo lui ont fait l'effet d'une poussée dans le dos, au plan créatif.

«Ça fait deux mois que je me lève et que je n'ai qu'une envie: papier, crayon, guitare. Ou piano», dit-il, tout en précisant qu'il prend quand même soin des gens qu'il aime et continue à composer des musiques de film. Le chanteur dit qu'il n'a rien forcé, que c'est arrivé comme ça.

Voir Moon Grill paraître, et ainsi boucler la boucle, le met d'humeur légère. «Ça crée de l'espace en moi et, tout naturellement, cet espace-là veut être rempli de nouveaux sons et de nouveaux mots», expose-t-il. Ce week-end, il part à la pêche avec son frère et, tout de suite après, il continue à mettre sur pied son nouveau studio, dans son garage. Son prochain disque, il va l'enregistrer là. Pas tout à fait live, mais dans cet esprit-là.