Douzième titre pour l'écrivain et critique Jacques Folch-Ribas, Les pélicans de Géorgie baigne dans l'atmosphère fuligineuse des bas-fonds de Savannah, tout en brillant de la lumière énigmatique de l'amour et de l'art. Attablé devant un café, l'élégant Folch-Ribas parle de son roman comme d'un objet aussi insaisissable que les femmes et cette part invisible que les artistes cherchent à capturer.

Le mystère est au coeur de l'histoire de ce faussaire alcoolique qui se rend à Savannah, en Géorgie, pour rencontrer un amateur d'art. Le héros vient vendre ses faux tableaux, mais retrouve aussi Marie, l'inaccessible camarade de classe du temps de ses études en architecture à Paris. La croqueuse d'hommes fortunés est devenue propriétaire d'un bar de danseuses nues. Il va également croiser sur sa route Ada, une Noire prostituée, chauffeuse de taxi à Atlanta, qu'il va tenter de dessiner.

 

À l'origine de ce roman, deux rencontres insolites que l'auteur a gardées en réserve pendant plus de 10 ans. «À mon grand étonnement, j'ai rencontré à Savannah une collègue de l'École d'architecture à Paris qui a fini patronne d'un club de femmes nues à Savannah! Cette fille avait un secret, un mystère, que je n'arrivais pas à comprendre. Ensuite, j'ai rencontré l'autre femme, cette Ada, une Noire, chauffeuse de taxi.» Folch-Ribas a écrit ce roman pour essayer de comprendre ces deux femmes antinomiques, l'une qui se refuse et l'autre qui s'abandonne. «Je ne crois pas que j'ai réussi. Elles restent mystérieuses. J'ai toujours pensé que le problème des relations avec les femmes, c'était l'incommunicabilité: on essaie d'atteindre leur vérité et on n'y arrive jamais.»

L'atmosphère surannée de Savannah, la ville épargnée par les Nordistes durant la guerre de Sécession, où le temps semble figé, forme un cadre idéal à ce roman fait d'attentes, de secrets et de dissimulations. Partout, la vérité se dérobe, se confond avec le faux. Chaque fois que le personnage essaie de fixer le désir, il lui échappe. De toute façon, la vérité, Folch-Ribas s'en moque. Il lui préfère nettement le mensonge, une véritable fascination chez lui. Le héros va tenter de dessiner Ada, sidérée qu'un Blanc souhaite peindre une Noire en 1960. «Je fouillais plus profond ce corps que je voulais caresser autrement», peut-on lire, alors que le héros veut capturer sa beauté sur papier.

«Il veut la dessiner pour aller en profondeur, mais il la désire trop. Il fait l'amour avec elle et il est alors trop proche d'elle pour essayer de décrire ce que j'appellerais son mensonge, son mystère», explique Folch-Ribas.

La quête de l'invisible

Entre la femme qui l'a blessé et qui continue de torturer les hommes et celle qui s'offre à l'amour, Folch-Ribas fait valser son personnage, qui cherche en vain à fixer son désir égaré, effaré par trop de faux-semblants. Il y a entre l'art et l'amour une même quête de l'invisible, de ce qui n'est pas réel, n'est pas vrai.

«C'est un livre sur le mensonge et sur l'art, qui est toujours un mensonge», explique le romancier. «Je pense que l'art ne décrit pas quelque chose qui existe, mais essaie de décrire quelque chose qui serait en dessous des choses et des personnes, un secret qu'il arrive rarement à attraper.» Ce n'est pas innocent si le personnage du roman est un faussaire. Il gagne sa vie en copiant les artistes, mais selon Folch-Ribas, il n'y a là rien de dégradant, bien au contraire. «Je pense que tous les artistes sont des faussaires, de la même façon qu'ils répètent tous ce qui a été fait avant eux. Ils sont des plagiaires.»

Dans un monde où la vérité n'existe pas, chacun s'invente son mensonge. Loin des représentations idéalistes de l'amour et de l'art, Folch-Ribas pose un oeil incrédule sur les relations humaines et les artistes dans ce roman de sensualité et d'esquives. L'auteur, qui connaît pour les avoir fréquentés le milieu des arts visuels et des faussaires, regrette qu'on ait aujourd'hui perdu le sens de la beauté. «Il y a très longtemps, les gens riches achetaient des oeuvres d'art parce qu'elles étaient belles. Maintenant, je crois qu'on achète un nom, une notoriété.» Nullement intéressé à comprendre ou à fixer le sens des choses, Folch-Ribas fait naître la beauté de l'insondable, chantant l'imposture de l'art et les arcanes du désir, en amoureux fidèle du mystère.

Les pélicans de Géorgie

Jacques Folch-Ribas

Boréal, 151 pages, 19,95$