Elle vit dans l'aisance. Elle est une femme de banlieue, mariée à un médecin depuis 40 ans, mère et trois fois grand-mère. Elle adore cuisiner, recevoir, rire et chanter. Mais qu'est-ce qui distingue Francine Allard des autres? À première vue, rien. Et pourtant...

Ceux qui n'ont rien lu de Francine Allard (43 titres publiés!) ou qui n'ont jamais fréquenté le blogue qu'elle a tenu pendant 10 ans (Le Matinternet) noteront son penchant ou son flair pour les titres accrocheurs: Mon royaume pour un biscuit (HMH), L'inoubliable scandale du Salon du livre (Pierre Tisseyre), Baby-boom blues (Stanké) et, bien sûr, le fameux Défense et illustration de la toutoune québécoise, également paru chez son ami Alain Stanké. Sans oublier Interdit d'ennuyer (Triptyque) où elle se dévoile dans ses échanges avec Claude Jasmin. Cette fois-ci, elle revient sur les rayons avec le premier tome d'une «trilogie d'époque», La couturière: Les aiguilles du temps, publié par un autre de ses amis, Victor-Lévy Beaulieu, aux éditions Trois-Pistoles.

 

Avec VLB, elle partage évidemment l'amour des mots, mais aussi une passion pour la chose politique et son corollaire, la controverse, qui ne semble pas lui faire peur. Francine Allard n'a pas la langue dans sa poche. À propos de VLB, l'écrivain candidat, elle souhaite «qu'il ne soit pas élu, car on a trop besoin de lui ailleurs», dit-elle en entrevue téléphonique. Et elle enchaîne sur l'essai-fleuve James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots, dont elle assure que «c'est Joyce réincarné dans le corps de Victor-Lévy Beaulieu». Elle est toutefois moins tendre avec le chef du Parti indépendantiste - un parti dont elle est également à la base :»(Éric Tremblay) a fait preuve d'immaturité.» C'est pourquoi elle est partie.

Quelques-unes de ses positions sur le féminisme, notamment lorsqu'elle a remis en question des aspects de la Journée de la femme, lui ont valu d'être perçue, dans certains milieux, comme un personnage peu fréquentable, dit-elle. Le fait qu'elle tenait à élever ses enfants à la maison n'a pas non plus toujours été bien vu. Mais ça ne l'a pas freinée pour autant, même si certaines remarques l'ont blessée. «Ce que je ne peux admettre, lance-t-elle, c'est le manque de respect. Le mépris me tue.» Puis, comme si elle sentait le besoin de rajuster le tir, elle ajoute: «La politique, la religion ou la façon d'élever ses enfants, c'est propre à chacun.»

En abordant le sujet des enfants, elle reconnaît qu'il lui arrive à l'occasion de s'ennuyer de l'enseignement, son premier métier. «On naît professeur», dit-elle. Mais elle n'a jamais été une enseignante modèle. «Il faut être clown pour enseigner.» Une citation à prendre dans son sens littéral. Il lui arrivait de se présenter en classe costumée... Et si elle ne cadrait pas toujours avec le reste du personnel enseignant, ses élèves ne l'ont jamais oubliée. «Trente ans plus tard, je reçois encore des cartes de certains de mes élèves.»

Et puis il y a eu l'écriture, qui s'était installée tranquillement. D'ailleurs, elle convient que c'est également une manière d'enseigner. Ses petits-enfants ont aussi pris une large place. Francine Allard parle de sa vie comme elle écrit, «sans drame ni détresse». Simplement avec tendresse et humour.

La couturière évolue dans ce sillage. Une histoire qui débute dans l'euphorie des changements apportés par un XXe siècle naissant. Elle refuse cependant de qualifier l'ouvrage de roman historique; elle parle plutôt de «roman d'époque», pour lequel elle a fait beaucoup de recherches. En grande partie dans l'oeuvre de l'historien Jacques Lacoursière, qu'elle respecte au plus haut point. Le reste appartient à l'imaginaire. Les dialogues, notamment, frappent par la justesse du ton. Ils permettent de situer chacun selon le milieu dont il est issu, et le langage évolue au fur et à mesure que les deux héroïnes du livre, Donatienne et Émilia, progressent dans leur vie.

Émilia, c'est la couturière du titre, que l'on suit de son enfance jusqu'à son entrée «à la shoppe de couture» de M. Bernstein, boulevard Saint-Laurent. Un patron qui ne peut s'empêcher de baisser son pantalon lorsqu'une jolie employée entre dans son bureau, comme l'apprend Émilia à ses dépens. Un incident qui aurait pu avoir des conséquences néfastes, mais qui, au contraire, propulsera la jeune fille dans ce monde, jadis inaccessible pour elle, de la bourgeoisie montréalaise.

Donatienne, c'est la Sauvagesse, sage-femme et herboriste, celle dont Émilia était persuadée qu'elle épouserait son père après la mort de sa mère. La vie nous jouant parfois de vilains tours, c'est plutôt seule qu'elle s'en ira à Oka élever l'enfant que lui a fait Josaphat, avant de lui préférer sa belle-soeur. C'est le quotidien peu banal de ces deux femmes que l'on suit durant tout ce premier tome. Deux destins aussi passionnants l'un que l'autre qui sont relatés dans de cours chapitres où l'humour vient à tout coup sauver la mise. Une histoire qui aurait pu être triste à mourir, mais ce serait mal connaître Francine Allard....

La couturière : Les aiguilles du temps

Francine Allard

Éditions Trois-Pistoles, 208 p., 21, 95$

*** 1/2