Grandes demeures abandonnées et ruelles sombres, écrivains maudits et policiers dangereux, âmes damnées et esprits naïfs, désir de vengeance et sentiment de reconnaissance, livres au pouvoir mystérieux et mises en abyme: il y a tout ça, et beaucoup plus, dans Le labyrinthe des esprits.

Cette brique de 840 pages vient clore l'immense saga du Cimetière des livres oubliés, amorcée il y a plus de 15 ans par l'auteur espagnol Carlos Ruiz Zafón avec le best-seller international L'ombre du vent (publié en 2001 en espagnol et en 2004 en français).

Est-il nécessaire d'avoir lu les trois premiers épisodes pour savourer celui-ci? Non. Bien sûr, les habitués retrouveront avec un plaisir supplémentaire les personnages aimés, à commencer par le libraire Daniel Sempere, son meilleur ami Fermin, les figures des écrivains David Martin et Julian Carax et le fameux cimetière des livres oubliés.

Ils seront aussi peut-être davantage émus par la finale qui boucle la boucle de cette histoire se déroulant dans une Barcelone mythique et fantasmée. Mais peut-être pas non plus, car il y a dans ce livre foisonnant tellement de portes d'entrée et de pistes à suivre qu'on y est happé inévitablement jusqu'au bout, qu'on en ait connu les prémisses ou non. Et puis, l'auteur y glisse habilement ici et là indices et souvenirs, et tisse avec brio un récit indépendant qui se tient admirablement tout seul.

Les secrets du régime franquiste

Nous sommes à Barcelone à la fin des années 50. Franco est au pouvoir et c'est le règne de la terreur. Alicia Gris, sorte d'agent secret déguisée en femme fatale qui carbure au vin blanc, à la cigarette et à la morphine, doit enquêter sur la disparition d'un ministre important, Mauricio Valls, en compagnie de Vargas, un policier d'expérience sur le point de prendre sa retraite. 

Leur enquête les mènera sur la piste de secrets inavouables du régime et mettra en danger la vie d'à peu près tout le monde qui s'en approche, de près ou de loin.

L'ambiance est gothique, le mystère est épais, la violence plane et explose à certains moments de manière cruelle. Chaque porte ouverte mène vers une autre et les personnages, parfois inquiétants, parfois chaleureux, se succèdent sur le chemin du duo, mais ne sont pas toujours ce qu'ils annoncent. Alicia, tombée de l'autre côté du miroir tel le personnage principal du Labyrinthe des esprits, livre dont elle suit la piste et qui se déroule dans l'envers de Barcelone, devra démêler le vrai du faux à ses risques et périls. Car ce qui traverse Le labyrinthe des esprits, c'est l'amour de la littérature, dans un hommage à la fiction et aux histoires qu'on raconte pour faire rire ou pleurer, battre le coeur et frissonner.

Pour ce faire, Carlos Ruiz Zafón prend son temps, tire quelques ficelles un peu faciles - la lecture du journal intime, le journaliste qui raconte un long pan de l'histoire - , mais il mène son livre avec tant de maîtrise et d'enthousiasme qu'on ne peut qu'y adhérer. Le labyrinthe des esprits est un formidable tour de force, élégant et trépidant, qu'on savoure avec bonheur jusqu'à la dernière page.

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Le labyrinthe des esprits. Carlos Ruiz Zafón. Traduit de l'espagnol par Marie Vila Casas. Actes Sud. 840 pages.