Avec Mr. Mercedes, Stephen King a amorcé une trilogie qu'il voulait noire. Noire à la façon films et romans noirs. Du polar. De l'atmosphère. Pour mener le bal, Bill Hodges, un ex-policier désabusé, pas particulièrement en santé, divorcé, grognon. L'expérience s'est poursuivie dans Carnets noirs, où le maître de l'horreur revenait sur l'un de ses thèmes récurrents, l'écrivain et l'écriture.

Mais une note fantastique semblait vouloir se faire entendre dans les dernières pages de ce tome médian. Elle est totalement là, claire et forte, dans Fin de ronde. Stephen King a beau plaquer de la science dans sa fiction, il ne peut tromper ceux qui le fréquentent depuis des décennies: ce sont bel et bien du surnaturel et de l'horrifique qui claironnent ici.

Et, oui, il manie ces cordes-là comme un chef. Sauf qu'on ne peut s'empêcher de regretter ce changement de cap. A-t-il manqué de confiance? Après plus de 50 romans, après avoir signé des oeuvres ancrées dans la réalité comme Le corps, Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank, Un élève doué ou Misery, impossible!

Mettons donc ce changement de ton de la trilogie Hodges sur le fameux naturel qui a tendance à revenir au galop.

Petit rappel. Les deux premiers tomes, et c'est aussi le cas du troisième, s'amorcent par un retour à un même événement. Au petit matin du 10 avril 2009, devant une foire à l'emploi, Brady Hartsfield fonce avec une Mercedes volée sur les gens venus là dans l'espoir de trouver du travail. Il fait huit victimes et bien des blessés.

Des meurtres-suicides

Des mois et même des années après la tuerie, son acte prémédité affecte toujours, de différentes manières, la vie des survivants, de leurs proches. Et celle de Bill Hodges, policier qui tentera de lui mettre la main dessus après les faits; puis, policier à la retraite; enfin, détective privé à l'agence Finders Keepers qu'il fonde et dirige avec Holly Trelawney, jeune femme brillante, mais au comportement maladivement asocial.

C'est par les «bons soins» de cette dernière que Hartsfield, après avoir tenté de provoquer une autre catastrophe, se retrouve à l'hôpital, dans un état végétatif... dont il émerge en catimini dans les pages de Fin de ronde. Avec la «complicité» de la technologie, le monstre parvient à pousser au suicide quelques-unes des victimes (réelles ou potentielles) des catastrophes qu'il a causées ou tenté de causer par le passé.

C'est sa spécialité, le pseudo-suicide. Et elle est tordue.

Hodges, dont la santé décline, voit clair dans le jeu du psychopathe. Mais comment prouver la culpabilité d'un homme qui semble être dans un coma irréversible?

Cette «fin de ronde» l'est à plus d'un titre et elle attend tous les personnages principaux, peu importe qu'ils soient du côté des bons ou des méchants. 

L'aventure est bien sûr haletante et si elle explore la piste «techno-geek» que King a déjà parcourue (dans Cellulaire et dans la nouvelle Ur, par exemple), elle demeure efficace.

On en ressort quand même un peu déçu (la voie réaliste, le ton au noir aurait si bien convenu à tout ce qui a été placé avant!), mais avec le très grand désir de retrouver un jour la fabuleusement étrange Holly. Une autre trilogie, peut-être?

***1/2

Fin de ronde de Stephen King (traduction d'Océane Bies et de Nadine Gassie). Albin Michel. 420 pages.

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EXTRAIT

«Un carreau se brise dans la poche de pantalon de Bill Hodges. Un bris de verre suivi d'un choeur de garçons claironnant: "Et c'est un HOME RUN!"

Hodges grimace et bondit de son siège. Le DStamos est membre d'une cabale très prisée de quatre médecins et, ce lundi matin, la salle d'attente est pleine. Tout le monde se tourne vers Hodges. Il se sent rougir.

"Désolé, dit-il à la salle. C'est un texto."

"Et un texto très bruyant", fait remarquer une vieille dame aux cheveux blancs clairsemés avec des bajoues de beagle.»

Image fournie par Albin Michel

Fin de ronde, de Stephen King