Retrouver Michael Delisle, c'est retrouver cet art fin de l'ellipse, ici caché sous l'étiquette du recueil de nouvelles, qu'on lit de bout en bout avec l'impression d'avoir fait le voyage du roman.

Il y a deux frères que beaucoup de choses opposent, mais un seul narrateur qui mesure les distances entre les êtres. Sa distance avec cette mère qui lui retire sa machine à écrire quand il est jeune.

Avec le milieu littéraire auquel il rêve d'appartenir, protégé par un professeur-amant, porté sur les jeunes, qui s'éloignera de lui quand il deviendra un homme (ou un écrivain).

Avec cette amie pleine de rêves qui les abandonnera tous au premier échec, et le narrateur en même temps. Avec ce frère, finalement, qu'il retrouve au moment même où il abandonne femme et enfant, et qui lui demande de s'occuper de son fils comme d'une oeuvre inachevée, tandis que cet ami artiste que le narrateur admire abandonne l'art pour ne pas gâcher une oeuvre qu'il estime finie.

«Je travaille avec une ambition de plus en plus élémentaire. J'écris pour voir à quoi la vie ressemble, une fois écrite.» Elle est toujours plus belle sur papier, plus complète et plus achevée ainsi, et c'est peut-être pour ça que Michael Delisle écrit de si bons livres, qu'on se surprend toujours à dévorer, même si on ne sait jamais au départ à quoi il nous invite, si ce n'est au partage de ces fulgurantes lucidités qui font la poésie.

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Le palais de la fatigue. Michael Delisle. Boréal, 138 pages.