En entrevue pour la sortie de Ma vie rouge Kubrick, Simon Roy nous avait confié qu'il n'avait aucun problème à se voir comme l'homme d'un seul roman. Publié dans la collection «Liberté Grande» de Boréal, plus généralement consacrée aux essais, Ma vie rouge Kubrick mêlait brillamment le choc esthétique de The Shining, chef-d'oeuvre de Kubrick, et le traumatisme intime du suicide de sa mère. Ce récit original et diablement efficace a connu un immense succès, couronné par le Prix des libraires en 2015.

C'est donc dire qu'un deuxième livre de Simon Roy était inespéré. Présenté comme son premier «vrai» roman, dans la collection officielle de Boréal et non plus dans «Liberté Grande», Owen Hopkins, Esquire raconte l'histoire d'un fils forcé de régler ses comptes avec un père menteur, alors que celui-ci est atteint d'un cancer qui va l'emporter. Jarvis doit se rendre en Angleterre au chevet de cet homme qui aura vécu à Montréal seulement le temps de faire deux enfants, et beaucoup de dommages par sa mythomanie. Un drame familial a décidé de sa fuite, drame que nous découvrirons au tiers du roman, précédé de nombreux indices.

Simon Roy retrouve la forme fragmentaire de son premier livre, disséminant çà et là quelques informations sur des fabulateurs célèbres, fictifs ou ayant existé, comme Tartarin de Tarascon ou le baron de Münchhausen, insérant des extraits du roman à succès d'Owen Hopkins, Cold Pitts, ainsi que des infos «wikipédiennes» sur la neige et les igloos qui trouveront un triste sens à la fin.

L'écrivain a du talent lorsqu'il s'agit d'approcher, par cercles concentriques, au coeur du choc originel de Jarvis, qui concerne moins la mort elle-même que la couche de glace du mensonge que son père a pelleté par-dessus, emprisonnant le fils dans une froideur qui teinte tout le roman. Et c'est bien là le problème. 

On ne peut s'attacher ni à Jarvis ni à son père dans cette histoire où l'on se demande, au bout du compte, ce que Simon Roy veut bien nous dire.

En fait, on a l'impression que par la figure du père mythomane, c'est à la fiction elle-même que l'auteur en veut. Son personnage, échaudé par les menteries paternelles, a autant de mépris pour les histoires inventées que pour celles qui se targuent de dire le vrai parce qu'inspirées de faits vécus. Il a ses doutes sur «le pouvoir de l'art».

«La vérité, au fond, n'intéresse personne bien longtemps. C'est à croire qu'on préfère le trompe-l'oeil. On est toujours désabusés quand on voit un prestidigitateur accepter de dévoiler ses secrets, car, même si on reconnaît d'emblée qu'il y a tromperie, on aime par-dessus tout être dupés.»

Il en rajoute: «On est friands du mensonge patenté, complaisants lecteurs d'histoires d'horreur, pour autant qu'elles soient le fruit pourri de l'imagination d'un auteur. Hypocrites, on préfère se faire raconter des histoires inventées et mises en scène, se faire narrer des récits qui entendent en fin de compte rassurer, plutôt que d'aller vers l'avéré texte sacrilège qui creuserait nos frayeurs intimes en nous montrant le monde tel qu'il est réellement, sans calcul ni enjolivement.»

Tel un manifeste

On finit par se demander qui de Jarvis ou de Simon Roy pense ainsi. Ces phrases ressemblent plus à un manifeste qu'à une narration... Owen Hopkins, Esquire semble un cas typique du difficile deuxième roman à écrire rapidement après avoir connu un premier succès. Fallait-il aussi tomber dans le diptyque très courant de l'imaginaire québécois qui veut qu'après la mère, on parle du père, ou inversement?

Toujours est-il qu'on ne sent pas dans Owen Hopkins, Esquire l'urgence ou la fébrilité de Ma vie rouge Kubrick, même si l'on reconnaît le style de l'écrivain, qui se cache trop derrière ses procédés. Peut-être que Simon Roy est de l'école de l'autofiction, mais qu'il ne l'a pas encore accepté. À moins qu'il ne finisse par vraiment faire confiance à la fiction. C'est le troisième roman, s'il paraît un jour et qu'on attend, qui nous le dira.

* * 1/2

Owen Hopkins, Esquire. Simon Roy. Boréal. 239 pages.