Des enfants, quatre frères, pêchent dans le fleuve Omi-Ala au Nigeria, non loin de leur domicile. Les parents leur ont interdit de le faire, mais c'est l'été et ils pourront bien en tirer quelque chose. Après tout, les garçons aiment jouer en contournant les règles.

Ce n'est pas le fleuve, qu'on dit hanté par quelque malédiction, qui causera leur malheur, mais le fou du village Abulu. Il leur débite une prophétie: Ikenna, l'aîné, sera assassiné par l'un de ses frères. Les garçons et la famille sont bouleversés, mais ne verront pas venir la tragédie. Et pire encore. 

L'écrivain d'origine nigériane Chigozie Obioma, qui vit maintenant aux États-Unis, a écrit quelque chose comme un grand livre. 

Sous des allures de mélodrame, dont il évite les excès, le romancier emprunte aux codes du conte et son récit est empreint de l'innocence du narrateur, Ben, le troisième de la famille. 

Tout est métaphore chez Obioma. Le père est un aigle qui voit tout, même distant de milliers de kilomètres, travaillant pour une grande banque. La mère est fauconnière, protectrice de ses enfants. Ikenna, l'aîné, est un python, un prédateur, cet enfant par qui le malheur arrive et qui devient sous nos yeux un adolescent. Boja, un parasite, Obembe, un chien limier. 

Bref, les acteurs de cette tragédie ont tous des équivalents dans le monde animal. Comme on pourrait dire que l'ensemble du récit est une métaphore de l'Afrique fratricide, qui s'entredéchire entre passé et avenir, entre traditions ancestrales et modernité inquiétante. La lecture des Pêcheurs offre plusieurs pistes de lecture tout aussi passionnantes les unes que les autres sur une réalité très loin de la nôtre. 

Le dépaysement n'est pourtant pas total. Le romancier se sert d'un langage simple, utilisant dans certaines pages des dessins d'enfant et dans d'autres, des extraits de chansons ou de poésie pour susciter notre adhésion. 

Il nous ballotte habilement, voire allègrement, entre une terreur sourde et un espoir naïf. Page après page, incident dramatique après incident dramatique. Il est très difficile de se détacher du livre avant le dénouement.

Chigozie Obioma se promène sur un mince fil tendu entre le fantastique et la réalité, entre le songe de l'enfance et l'entêtement adulte. Les quatre frères ne sont plus tout à fait les uns et pas encore les autres. C'est là qu'ils se débattent, et nous avec eux, pour vaincre la peur sans causer l'irréparable. Mais ce ne sont que des enfants... 

Les pêcheurs est un livre vibrant et émouvant. Parfois drôle, souvent surprenant, mais toujours d'une grande humanité. Loin de toute morale simpliste entre le bien et le mal, il possède la cruauté du serpent, mais un coeur de lion. 

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Les pêcheurs. Chigozie Obioma. Éditions de l'Olivier. 298 pages.