Si vous aviez l'occasion de vous retrouver face à votre « jeune moi » de 12 ans, que lui diriez-vous ? Et surtout, qu'est-ce qu'il vous répondrait ?

C'est la question que s'est posée le Français Martin Page (Comment je suis devenu stupide, Peut-être une histoire d'amour) dans L'art de revenir à la vie, son nouveau roman qui navigue intelligemment entre autofiction et science-fiction.

Le narrateur du roman, Martin, est au début de la quarantaine. Marié, père d'un petit garçon et écrivain fauché, il vit en Belgique dans une maison dont le toit fuit. Quand une productrice française lui propose de venir travailler à l'adaptation d'un de ses romans, il retarde ses vacances familiales pour aller la rencontrer à Paris. Il s'installe alors dans l'appartement d'un ami sculpteur, où trône une oeuvre d'art, sorte de cercueil métallique intitulé Voyage à remonter le temps.

Rien ne se passera comme prévu dans ce périple d'affaires, évidemment, et c'est là que le roman prend un tournant absurde et onirique. Car la productrice va plutôt l'engager comme homme à tout faire - mais alors, vraiment tout faire ! -, ce qu'il ne peut refuser vu sa situation financière.

Humour décalé

Il passe ainsi son séjour parisien dans une sorte de brume - il est très enrhumé - et accepte chaque nouvelle situation avec stoïcisme. Les demandes de la productrice, une sexagénaire d'origine syrienne qui a lutté toute sa vie pour arriver au sommet, sont de plus en plus particulières, mais sont autant d'occasions pour lui de réfléchir au sens de la vie et de la réussite. Leurs conversations sont des bijoux d'humour décalé.

Il accepte aussi que l'oeuvre de son ami, où il s'installe pour se reposer, le transporte jusqu'en 1987 dans la petite ville de banlieue où il a grandi. Ainsi, chaque soir, il part à la rencontre de son double de 12 ans, petit ado vif habillé et coiffé n'importe comment, rencontres qui deviennent le moteur de ses nuits et du roman. Comment l'aider à éviter les souffrances des années à venir sans trop le décourager ? se demande Martin. Mais leurs discussions, parfois vives, souvent tendres, finiront par l'inciter à se remettre lui-même en question : à bien y regarder, sa vie n'est pas si ratée que ça.

Mélancolique et drôle, L'art de revenir à la vie est un magnifique voyage introspectif qui nous propose, en somme, de faire la paix avec nos regrets plutôt que de les porter comme un boulet. 

On n'est jamais aussi loin qu'on pense de nos rêves d'adolescence, nous dit l'auteur, et ce serait trahir ce qu'on a été que de vouloir modifier la trajectoire qu'on a suivie.

Ajoutez à cela de sympathiques relents des années 80, un peu de burlesque, beaucoup d'autodérision, un vibrant hommage à l'imagination, des scènes bouleversantes d'humanité, une écriture d'une grande limpidité sans être simple, un glissement constant entre le rêve et la réalité qui maintient le récit dans une forme de flou réjouissante, et vous avez au bout un roman brillant et sensible.

Pas à proprement parler une « lecture d'été », mais cette drôle de crise existentielle, qui n'est ni pessimiste ni désabusée, reste un moment de littérature accessible qui provoque réflexion, spleen et amusement... et parfois les trois en même temps.

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L'art de revenir à la vie, Martin Page, Seuil, 144 pages

EXTRAIT

« Je sais que dans l'acte d'écrire, mais aussi dans le métier de vivre, je ne suis pas seul. Je suis accompagné. Celui que j'étais à 12 ans veille sur moi et m'encourage. Il me chuchote des choses. Je serai toujours deux. Je serai toujours deux pour affronter la vie. »