La Peuplade avait publié il y a deux ans Voluptés de la même auteure, des récits personnels à forte tendance fictionnelle. La maison d'édition revient à la source de cette écriture singulière et brillante en publiant le tout premier roman de Marianne Apostolides, Elle nage. Nous les en remercions tant il s'agit là d'un petit livre magistral.

Avant cette première incursion dans le genre romanesque, l'écrivaine de Toronto avait lancé une bouteille à la mer avec Inner Hunger, le récit de ses troubles anorexiques. Son roman survole aussi cette thématique, mais Elle nage s'attarde surtout à la fin du mariage et aux souvenirs de la narratrice.

Au passage, elle évoque sa relation avec sa fille, ses études en littérature et son aventure avec un professeur, ses souvenirs familiaux, dont la relation avec son père. Elle retourne aux sources du langage, cite Kristeva, Lacan et les poètes américaines Laynie Browne et Lyn Hejinian.

Résumé ainsi, le livre pourrait prendre des airs de fouillis indescriptible. Pourtant non. Le tour de force est là, page après page, mot après mot.

Tout se passe dans la tête de la narratrice Kat qui nage dans une piscine en Grèce, pays de ses ancêtres. Elle décide de faire 39 longueurs, une pour chaque année de sa vie, tout en tentant de démêler les fils de sa vie, évoqués plus haut, et trouver une fin à son mariage.

En faisant un usage fort pertinent de la ponctuation et en liant habilement les sentiments de Kat à ses souvenirs d'enfant ou d'adulte et à sa respiration de nageuse, Apostolides construit un récit compact, mais ô combien riche en réflexions diverses. 

Chaque mot est choisi avec soin pour sa signification première, mais aussi pour ce qu'il peut évoquer poétiquement.

Toute la narration se love au milieu d'un triangle composé du corps, de la mémoire et du langage. Chaque respiration peut emprunter à un ou plusieurs côtés du triangle dans un geste continu. Un paragraphe peut ainsi commencer au présent et se poursuivre plus loin dans le passé.

Katy nage dans le doute, en fait. Elle est insoumise, mais aussi incertaine et instable. Elle continue d'avancer, cependant, de nager. La vie l'appelle, malgré les obstacles et les remises en question, à continuer de bouger. 

Au fil de l'eau, la narration glisse ainsi d'un sujet à l'autre dans une grande fluidité et une totale limpidité. L'écriture laisse assez de place au lecteur pour qu'il s'infiltre dans le même couloir de piscine ou juste une respiration derrière. Elle nage est un roman original, intelligent et touchant qu'on prend plaisir à lire plus d'une fois.

Après le Niko de Dimitri Nasrallah, voilà encore une excellente traduction que nous offre La Peuplade.

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Elle nage. Marianne Apostolides. Traduit par Madeleine Stratford. La Peuplade. 119 pages.