Sarah a toujours vécu dans l'ombre de sa soeur aînée Avril. Mais cette dernière, mère de deux petites filles, est atteinte de leucémie et a maintenant besoin de sa cadette: elle seule est compatible pour une greffe de la moelle osseuse qui pourrait la sauver. Mais Sarah doute...

Les sanguines n'est pas tant l'histoire d'une relation entre deux soeurs que le parcours de la plus jeune, Sarah, qui s'est tellement effacée qu'elle a mis son talent en peinture au service de son amoureux, puis des grandes oeuvres d'art - elle est copiste. Bien sûr, la figure brillante d'Avril est toujours en filigrane du roman, et prend de plus en plus de place à mesure que sa santé décline. Mais c'est de Sarah qu'il est question, de son invisibilité volontaire, de ses hésitations quant au geste qu'elle doit faire pour aider sa soeur, de ses balbutiements de relation avec ses nièces.

Entremêlée dans ce roman très chargé émotivement, l'histoire de Victor, seul au monde et condamné par une récidive de la leucémie. Le malade veut laisser comme legs une Histoire du sang, qui raconte les grandes avancées de la recherche et de ceux qui se sont donnés, ou sacrifiés, pour elle. On peut en lire des extraits, en écho au dilemme de Sarah.

La chroniqueuse, journaliste et animatrice Elsa Pépin n'est pas une nouvelle venue, mais après le recueil de nouvelles Quand j'étais l'Amérique, publié il y a deux ans, Les sanguines est bel et bien son premier roman.

Le premier roman d'une pro, donc, grande lectrice professionnelle depuis des années.

Cette connaissance intime de la littérature contemporaine transparaît dans la structure élaborée du récit: dans les allers-retours entre la profondeur historique apportée par le livre de Victor et le présent angoissant des vivants et des malades; dans les étapes qui mènent Sarah vers une présence dans le monde plus assumée; dans les coups durs du destin qui font tout basculer; dans la mort et les émotions qu'on regarde en face, même les plus douloureuses, même les moins belles, sans fausse pudeur.

Le résultat est le roman vraiment bien fait d'une première de classe. Peut-être un peu lisse, par contre, et qui donne parfois l'impression d'hésiter entre l'incarnation très crue à la Réparer les vivants de Maylis de Kerengal et les images qui rendent quelques situations plus floues. Mais il y a une écriture brillante et soignée, et l'excellent fil conducteur du sang qui relie passé et présent, science et sentiments.

Le sang qui nous unit dans ce grand courant ininterrompu qu'est la vie nous rappelle avec talent et justesse une «nouvelle» auteure déjà en pleine possession de ses moyens.

* * *

Les sanguines. Elsa Pépin. Alto, 165 pages.