L'artiste visuel Marc Séguin est un amateur de chasse et de pêche notoire. Cette passion et cette connaissance transparaissent partout dans Nord Alice, son troisième roman, qui suit le parcours d'un chirurgien devenu médecin urgentiste à Kuujjuaq pour oublier une peine d'amour.

C'est de loin l'aspect le plus intéressant de ce livre qui contient plusieurs romans en lui: ses descriptions de paysages, de ses séances de pêche, de ses explorations du territoire en motoneige ou en hélicoptère sont autant de scènes véritablement incarnées. On sent le froid, on mord dans la chair du poisson, voit le sang dégouliner sur les mentons, on a peur de l'ours qui attaque. Le Nord, vu à travers les yeux de l'homme du Sud, est cru et concrètement sauvage.

Par ailleurs, trop engoncé dans sa peine d'amour, le jeune médecin n'a pas les moyens de l'ouverture aux autres. Il reste ainsi très en surface dans sa relation avec ses patients et les gens qui l'entourent. On ne dépasse pas ici la culpabilité de celui qui sait que sa société a causé des torts irrémédiables à une culture millénaire - on ne peut que lui donner raison -, mais sans capacité de creuser à l'intérieur des êtres humains qu'il croise, pour réellement partager et comprendre leur vie, leurs actes.

Son périple, qui se nourrit d'abord des paysages spectaculaires, est ainsi davantage intérieur, alors qu'il essaie d'apprendre à travers l'histoire de sa lignée, de son arrière-grand-père à son père, comment devenir un homme sur lequel on peut compter.

Relation ressassée

Ce retour dans le temps, qui est un autre des volets de ce roman, est sensible et instructif et lui donne de la profondeur. C'est plutôt le ressassement de la relation passionnelle du héros avec l'Alice du titre, elle-même inuite et avec laquelle il a étudié en médecine à New York avant de prendre la fuite, qui manque d'intérêt - elle ressemble en fait beaucoup trop aux couples dysfonctionnels de ses précédents romans.

Le suspense qui mène à la finale non résolue - Alice viendra-t-elle le rejoindre ou non? - nous laisse ainsi pas mal de glace. Et les petites pensées disséminées sur ce qu'il faut pour aimer une femme ou pour élever un garçon, l'influence des parents selon leur sexe, l'exemple par l'action plutôt que par la parole, restent nettement en surface et frôlent souvent le cliché. N'est pas philosophe qui veut, et Marc Séguin s'aventure ici sur un terrain un peu pompeux.

On préfère Marc Séguin mordant comme lorsqu'il analyse l'exploitation des ressources dans le Nord. Ou lyrique comme dans sa narration d'une pêche miraculeuse. Ou descriptif comme lorsqu'il fait voir le mouvement des icebergs sur la mer - l'oeil du peintre n'est jamais loin, on le sent.

C'est là que son talent se déploie davantage, et non dans des maximes de vie un peu creuses qui servent à justifier certains gestes douteux - à un moment, le personnage joue carrément à Dieu! Et encore moins dans un récit passionnel dont il semble avoir fait grandement le tour.

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Nord Alice. Marc Séguin. Leméac, 250 pages.