Les ravages de la guerre ne sont pas tous visibles, et James Salter l'avait déjà compris en écrivant son premier roman, Pour la gloire, en 1956. Ce classique américain, réédité en anglais en 1997 avec une préface de l'auteur, est enfin offert en français.

Ancien pilote de chasse au sein de la US Air Force, l'écrivain décédé en juin dernier y dépeint la cruelle déchéance d'un colonel de l'armée de l'air parti chercher la gloire lors d'une dernière mission pendant la guerre de Corée.

Cleve Connell rêve de triompher et d'abattre au moins cinq avions ennemis - en l'occurrence des Mig-15 appartenant aux Russes - pour devenir un as. «Si vous n'aviez pas de Mig à votre actif, écrit Salter, vous n'étiez rien.» Mais le colonel expérimenté accumule les missions où il ne se passe rien, tandis qu'un jeune pilote ambitieux collectionne les étoiles à chaque Mig abattu. Rongé par le désespoir et un sentiment d'inanité, Cleve devient lentement prisonnier de cette guerre qui, il s'en doute, finira par le détruire de l'intérieur.

Sous la plume de Salter, les mois passés au sein de l'escadron suivent le cycle de la vie, impitoyables et empreints de solitude: des amitiés se forgent, des dissensions surgissent, ceux qui partent sont aussitôt remplacés par de nouvelles recrues. Certains vivent la guerre comme s'ils purgeaient une peine, d'autres veulent retourner chez eux en héros, ou revenir tout court. Et il y a ceux qui ne connaîtront qu'une gloire posthume.

La grande maturité de Salter - il avait 30 ans lors de l'écriture - témoigne d'une profonde compréhension des hommes, à la fois capables des pires vilenies pour accéder à la gloire, et dignes par moments d'une immense magnanimité. Ce roman bouleversant, quelquefois sombre, trahit l'absurdité d'une guerre dont les coulisses ressemblent à l'antre d'une salle de jeu, et où les rivalités prennent l'allure d'une compétition sportive.

Un écrivain marqué par la guerre

En 60 ans, James Salter n'aura écrit que six romans, nous léguant toutefois plusieurs recueils de nouvelles, scénarios et essais autobiographiques, fortement imprégnés de son expérience en Corée. Chaudement accueilli par le public à sa sortie, en 1956, et adapté à Hollywood deux ans plus tard, Pour la gloire demeure l'ouvrage le plus important de son oeuvre. Après 35 ans d'absence romanesque, l'ancien pilote de chasse a évoqué à nouveau dans son dernier roman, Et rien d'autre (paru en 2014 en français), la vie militaire qui a profondément marqué sa jeunesse. L'écrivain est mort le 19 juin dernier à l'âge de 90 ans.

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Pour la gloire, James Salter. Traduit de l'anglais par Philippe Garnier. Éditions de l'Olivier, 240 pages.