«Jeter une lumière sur les problèmes les plus sérieux et en même temps ne pas prononcer une seule phrase sérieuse», peut-on lire en quatrième de couverture de La fête de l'insignifiance, nouveau roman de Kundera qu'on n'attendait plus - et qui sera hors de la Pléiade de ses oeuvres complètes, finalement.

Ils sont quatre personnages à se promener dans les tableaux de l'auteur - «le maître» -, tous à la «recherche du bonheur», tous à rire du début à la fin. Alain, hanté par sa mère, se questionne sur «l'érotisme d'un homme (ou d'une époque) qui voit la séduction féminine concentrée au milieu du corps, dans le nombril»; Ramon repousse sans cesse sa visite d'une exposition des tableaux de Chagall parce qu'il ne supporte pas les queues; Charles est fasciné par une anecdote sur Staline en blagueur, qu'il souhaite transposer dans un théâtre de marionnettes, tandis que Caliban, serveur dans les soirées, s'invente une langue, un faux pakistanais, pour s'amuser.

«Dans mon vocabulaire de mécréant, un seul mot est sacré: l'amitié», écrit Kundera. Et c'est «par sympathie» qu'il donne à ces amis un livre de Khrouchtchev dans lequel est rapportée cette anecdote d'un Staline blagueur, entouré de gens qui ne rient pas. Pour Charles, c'est une révélation: «Personne autour de lui ne savait plus ce que c'est qu'une blague. Et c'est par cela, à mes yeux, qu'une nouvelle grande période de l'Histoire annonçait sa venue.»

Les gens se parlent chacun «dans un lieu différent du temps», «les morts deviennent de vieux morts, personne ne se souvient plus d'eux et ils disparaissent dans le néant», comme on ne sait plus qui sont Staline ou les reines immortalisées dans la pierre au Jardin du Luxembourg; peut-on déboulonner les statues quand on ne sait plus ce qu'elles représentent?

Ce qui effraie les convives de la fête n'est «ni en face» «ni au-dessous», mais au-dessus, dans la légèreté (insoutenable, bien sûr), et Ramon dit à Caliban: «Nous avons compris depuis longtemps qu'il n'était plus possible de renverser ce monde, ni de le remodeler, ni d'arrêter sa malheureuse course en avant. Il n'y a qu'une seule résistance possible: ne pas le prendre au sérieux. Mais je constate que nos blagues ont perdu leur pouvoir.»

La bonne humeur

Selon Ramon, inspiré par Hegel, «c'est seulement depuis les hauteurs de l'infinie bonne humeur que tu peux observer au-dessous de toi l'éternelle bêtise des hommes et en rire». Oui, mais, la grande question: comment la trouver, cette bonne humeur? C'est une lutte de tous les instants, alors que nous ne sommes que des branches qui ont poussé d'une Ève anombrilique inventée par un «caprice du créateur».

Kundera a ses propres caprices de créateur, lui aussi, qui obligent le lecteur à trouver son propre sens dans ce théâtre de l'absurde et de l'ironie. Et la voix de la mère d'Alain d'affirmer: «Ton sexe non plus, tu ne l'as pas choisi. Ni la couleur de tes yeux. Ni ton siècle. Ni ton pays. Ni ta mère. Rien de ce qui compte.» Voilà qui nous fait penser à «de l'inconvénient d'être né», dans un suprême détachement, voire un mépris, du «misérable coït» originel qui a enfanté l'humanité...

Pour Ramon, il n'y a rien d'autre à faire que de reconnaître cette insignifiance, et même de l'aimer, puisque «l'insignifiance, mon ami, c'est l'essence de l'existence. Elle est avec nous partout et toujours».

Voilà ce que célèbre Kundera dans sa petite fête de 142 pages qui, dans un refus de la gravité qui le fait flirter lui-même avec l'insignifiance, nous prévient de la menace qu'est le sérieux, sans qu'on sache vraiment au final ce qui est le plus tragique entre l'insignifiance et le sérieux qu'on veut lui opposer. Un point d'orgue déconcertant et malicieux d'un écrivain qui semble revenu de tout.

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La fête de l'insignifiance. Milan Kundera. Gallimard, 142 pages.