Une nuit, une jeune femme plutôt alcoolique est enlevée. Elle se réveille dans une pièce vide, dotée d'un matelas, d'un drain, d'un plafonnier, plus tard d'un pichet d'eau. Ainsi commence Anabiose, premier roman admirablement angoissant de la Québécoise Claudine Dumont.

Cette jeune femme, dont on ne connaîtra le prénom qu'après des dizaines de pages, est-elle en cure de désintoxication brutale? Ou une Nikita made in Québec, kidnappée pour apprendre à tuer? Un cobaye humain? Un cauchemar éveillé? Ou une métaphore du purgatoire, des limbes?

Hormis ces questions, on ne peut pas vraiment dire autre chose de ce roman, ni même ce qui l'a inspiré, de peur d'en révéler trop. Ce qu'on peut dire, par contre, c'est qu'il faut un certain talent, et un talent certain, pour écrire tout un roman sur le presque rien, l'attente, l'apathie, le temps qui passe sans changement notable, de telle manière que le lecteur est scotché, lui aussi enfermé virtuellement dans ce bunker inconnu, partagé entre effroi et questions.

Dans le café où nous avons rendez-vous, rien ne signale que Claudine Dumont a écrit un texte qui se lit aussi comme un long poème en prose et en détresse, au style dépouillé et efficace. "À l'aube de mes 40 ans, consentira-t-elle à expliquer, j'ai vécu une période d'incertitude, je n'étais pas sûre de vouloir continuer à enseigner [le français au secondaire], et je voulais vivre mon rêve, celui d'écrire à temps plein. J'ai donc eu envie de m'enfermer dans une bulle, ma propre bulle de béton, mon bureau, pour écrire... Et ainsi réaliser que cet auto-enfermement, quand on a une nature sauvage comme la mienne, ce n'est vraiment pas une bonne idée!»

Elle a donc repris l'enseignement, qu'elle a conjugué au besoin d'écrire: Anabiose est son deuxième manuscrit, son premier publié. Et pour reprendre l'analogie terre à terre d'une lectrice, ce roman, c'est comme un sac de chips, une fois qu'on l'a commencé, il faut qu'on le finisse.

Rien n'explique mieux la qualité du texte d'Anabiose que les deux pôles d'intérêt littéraires de Claudine Dumont: d'une part, elle a consacré son mémoire de maîtrise (La pulsion de mort dans les contes de Grimm) et sa thèse de doctorat (Le désir et la jouissance dans les contes de Jacques Ferron) à une lecture psychanalytique des contes; d'autre part, son auteur préféré est, «depuis qu'[elle a] 13 ans», Stephen King! «Je sais que ce n'est pas un maître de la littérature fine, mais on croit à ses personnages, on s'y attache, on croit à ses histoires. J'ai beaucoup étudié en littérature, mais je n'ai jamais été une vraie "littéreuse". J'ai eu un enfant jeune, je n'ai pas eu les moyens de voyager, mais la lecture m'a permis de voyager dans ma tête, en entrant dans la tête d'un autre.»

Anabiose (qui désigne «le retour d'un organisme à la vie après une période de mort apparente»), elle l'a écrit en quelque huit mois. Avec une syntaxe et un vocabulaire qui servent avant tout l'histoire. Une histoire où il ne se passe presque rien. Dont la fin est quasi accessoire. Parce que c'est avant tout un voyage au bout d'une étrange tête.

* * *1/2

Anabiose, Claudine Dumont, XYZ, 152 pages

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Extrait



«Mon coeur. Je n'ai jamais entendu mon coeur avant. Il ne battait pas assez fort. C'est le silence. Il a sa place dans le silence. Je l'entends. Et il n'est que battements, mais il bat au rythme de ce désir hurlant: deux gorgées d'eau. Je veux boire. Je suis paralysée. Par le souvenir d'il y a huit minutes. Par ma réalité d'il y a huit minutes. La réalité où il n'y avait pas d'eau. La réalité où il n'y aura plus d'eau. Je reste là, j'observe. Je ne bouge pas. Le silence dans ma tête. Oublier la peur. Le silence. Et l'eau.»