Le pouvoir des mots et de la filiation sont au coeur de ce roman de la Belge Geneviève Damas, qui a remporté l'automne dernier le Prix des cinq continents, succédant ainsi à Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier. La comédienne, metteure en scène et auteure de théâtre signe ici un premier roman remarquable qui raconte l'histoire de François, garçon de 17 ans qui tente de s'extirper de sa vie misérable en apprenant à lire et en cherchant à élucider le mystère de sa naissance.

Ça se passe en campagne, on ne sait pas vraiment à quelle époque. Dès le début, une atmosphère glauque est instaurée autour de François. Depuis le départ de sa grande soeur Maryse qui a «passé la rivière» malgré l'interdiction paternelle, il a comme seul refuge contre un père dur et deux frères sans affection la compagnie des cochons. Une force vitale anime pourtant le jeune homme, qui conscrit le curé du village pour apprendre à lire, histoire de retrouver «la mère qu'il aurait eue» et de résister à l'atavisme familial fait de silence et de violence.

Si tu passes la rivière est un roman d'apprentissage somme toute assez classique, mais maîtrisé, très bien enroulé autour d'un noeud qui ne se dénoue qu'à la toute fin et laisse le lecteur pantois et bouleversé. La narration à la première personne se colle à la naïveté de François, et les tournures de phrases inversées - «parce que très pâle elle devenait soudain» - donnent un air maladroit à une prose qui ne l'est absolument pas. L'écriture évolue d'ailleurs à mesure que le jeune homme devient «l'ami des mots» et de leur sens.

En fait, François apprendra beaucoup de choses dans sa quête, et nous aussi en même temps. Quelque chose comme la force du lien et de l'amour maternel, et sur l'immense effort qu'il faut pour se sortir d'une condition prédéterminée. Beau et puissant.

EXTRAIT SI TU PASSES LA RIVIÈRE

«Je me disais alors que ma vie c'est comme une forêt où il n'y a pas de lumière, où j'avance seul et parfois avec un mot ou une phrase oubliée parce que personne ne le sait, même si je reste de ce côté-ci, toute la journée dans ma caboche, je les cherche, la mère que j'aurais eue et ma Maryse, et je n'oublie pas Jean-Paul aussi, c'est comme une clairière qui apparaît tout à coup et qui me donne la force de continuer à chercher et encore et encore, parce qu'un jour tous les arbres auront disparu et je n'aurai plus peur, j'arriverai dans une prairie de fleurs et je le saurai alors que je suis sauvé.»

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Si tu passes la rivière. Geneviève Damas. Hamac, 156 pages.