Peste & Choléra de Patrick Deville, déjà récompensé du prix du roman Fnac, en lice pour le Renaudot, le Goncourt et le Médicis, est un fascinant portrait d'Alexandre Yersin (1863-1943), scientifique et aventurier, découvreur du bacille de la peste.

Ce qui se déploie dans ce roman qu'on dévore n'est pas tant la biographie d'un homme que la beauté d'une vocation, l'admirable volonté d'un être libre, sans cesse en éveil, qui choisira toujours la pureté de la science contre la «saleté de la politique». Deville ne cache pas son admiration pour Yersin, qui aura vécu à une époque où «pour la dernière fois, peut-être de son histoire, Paris est une ville moderne».

Et Yersin est résolument de son temps, obsédé par les découvertes, la technologie et les pays exotiques qui inspireront les Conrad et compagnie. En cela, il ressemble à cette autre figure qui traverse le roman, Rimbaud, l'ange exterminateur de la poésie, car «en ce moment du microscope et de la seringue absolument modernes, s'éteint l'alexandrin, tué d'un coup de maître par le jeune poète parti vendre des fusils au roi du Choa, Ménélik II, futur empereur d'Éthiopie».

Deville réussit à nous faire sentir combien les pasteuriens et les parnassiens sont les derniers héros français, des révolutionnaires positifs qui auront changé la face du monde en regardant vers l'avenir, pendant que l'Europe ressassait ses increvables vieux démons. Du coup, c'est nous qui nous découvrons nostalgiques d'une époque où modernité rimait avec optimisme. Grande réussite que ce roman érudit et passionnant, consacré à un scientifique moins connu que son maître, Pasteur, mais moins embaumé par la légende, aussi. Deville nous insuffle le goût du voyage, de l'aventure, de la liberté, et de la découverte non pas d'une égoïste vérité intérieure, mais de l'incroyable diversité de la vie, jusqu'aux microbes invisibles...

Peste & Choléra, Patrick Deville, Seuil, 221 pages. * * * *