Le temps du déluge, traduction du roman The Year of the Flood, n'est pas une oeuvre de science-fiction, à proprement parler. Il faut plutôt parler de dystopie, ou encore de roman d'anticipation, genre que Margaret Atwood manipule avec un plaisir rusé et non dépourvu de l'humour incisif qui la caractérise. Dans le même esprit que La servante écarlate et Le dernier homme, Atwood la visionnaire ironique compose un monde postapocalyptique inspiré de nos obsessions contemporaines et des menaces environnementales qui grondent de plus en plus fort. Dans Le temps du déluge, seuls quelques rescapés ont survécu au cataclysme, survivants d'un univers en désolation après l'explosion de colère d'un ciel fâché avec des humains qui ont saccagé la planète.

Toby, prisonnière d'un centre de balnéothérapie, se retrouve ainsi sous le joug des Jardiniers de Dieu, secte dirigée par un gourou du nom d'Adam Premier. Dans ce monde de «l'après», les animaux ont pris le pouvoir, créatures transgéniques hybrides qui s'appellent «lionceaux», «porcons», «malchaptons», «lapins verts». À la façon de la Genèse, elle décline ses chapitres au gré des premières années d'un nouveau monde en désolation, où subsistent quelques idéaux écologiques et utopies religieuses.

Atwood, qui a laissé son imaginaire s'aventurer sur une piste visionnaire, crée une fable débridée et touffue, qui dépeint un monde où il faut reconstruire sur des ruines. Pour décrire cette arche de Noé postapocalyptique, peuplée par les créatures d'une humanité qui a joué aux apprentis sorciers, elle invente un lexique où les «nécrophores» et autres «bactéries putréfiantes» composent un écosystème étrangement nouveau. Une ère où les humains ne sont plus rois et maîtres, à l'image du pire de nos angoisses contemporaines.

Engagée dans son époque et furieusement ludique, Margaret Atwood livre ici le résultat d'une démarche hautement imaginative. S'il est amusant de la suivre dans son délire savamment documenté, et essayer de deviner ses sources d'inspiration pour sa création de la secte des Jardiniers et comprendre pourquoi elle baptise un personnage du nom de la chroniqueuse Rebecca Eckler - il s'avère que cette dernière a «acheté» l'honneur d'avoir son nom dans un roman d'Atwood, lors d'un encan bénéfice - , sa dystopie s'égare facilement dans ce langage étrange qui, peut-être, subit mal la traduction française. Certes, ses clins d'oeil aux allégeances extrêmes des végétaliens ou à l'écologie comme ultime religion sont d'éclairants repères d'un état d'esprit. Mais en ouvrant au maximum la valve imaginative, la trame narrative surnage difficilement dans un déluge d'idées, de bons flashs et de références.

Pas le plus achevé des romans de Margaret Atwood, mais une fiction qui a sa place dans la foulée de La route de Cormac McCarthy et autres prophètes littéraires du début de la fin du monde.

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Le temps du déluge. Margaret Atwood. Traduit de l'anglais par Jean-Daniel Brèque. Robert Laffont, 440 pages.