C'est en 1996, assis confortablement dans un café de Paris, que l'auteur chilien Luis Sepúlveda décide enfin de concrétiser son vieux rêve d'explorer le sud du Sud: la Patagonie, de Bariloche, en Argentine (42e parallèle sud), jusqu'à Chiloé, au Chili, 3500 km plus loin, en passant par le cap Horn. Mais il aura fallu attendre encore 15 ans pour qu'il couche sur papier ses aventures avec son ami photographe Daniel Mordzinski. Grand bien leur en fit.

Car, plus que la chronique anecdotique d'un duo bourlingueur, Sepúlveda et Mordzinski ont rapporté une touchante série de nouvelles posthumes, témoignages d'une région chargée de légendes que le progrès mal mené et les bouleversements économiques inconsidérés ont fait disparaître. En somme, un recueil qui dresse un «inventaire des pertes» de ce coin du globe.

Au fil des kilomètres, donc, qui défileront beaucoup moins vite que prévu - «nous avancions lentement sur une route de gravier car, selon la devise des Patagons, se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver et seuls les fuyards sont pressés»-, Sepúlveda et Mordzinski multiplient les rencontres insolites, mais lourdes de sens. Comment résister au charme de cette coquette mamie, qui a, dit-on, le don de faire refleurir les branches des arbres morts et de guérir l'infertilité des femmes, et qui a réussi à déjouer les plans de richissimes étrangers qui, comme Sylvester Stalone, voulaient s'approprier des fragments immenses de ce territoire sauvage? Ou à ce luthier qui parcourt des heures durant les forêts, comme un chercheur d'or écume les rivières, à la recherche de l'arbre qui lui donnera le plus bel instrument? Et que dire de ce petit lutin à demi alcoolique d'El Bolson, détruit par une histoire d'amour ou de politicaillerie (la vérité se cache quelque part dans un nuage de tristesse)? Luis Sepúlveda, cet homme qui a connu la dictature, sait redonner une voix à ceux qui n'en ont jamais eu, en écorchant au passage ceux qu'il juge responsables de la spoliation de ce magnifique territoire. Quant à la lentille de Daniel Mordzinski, elle capte sans artifice les traits burinés et les regards mélancoliques de ces héros d'occasion, ainsi que le vent froid et vif de cette terre de feu.

Ce recueil n'en est pas un qui donne envie de partir explorer la Patagonie; mieux que cela, c'est un récit qui donne envie de partir à la rencontre des Patagons. En espérant que Sepúlveda a eu un peu tort et que les habitants de ce territoire mythique n'ont pas encore perdu toute leur fantaisie.

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Dernières nouvelles du Sud. Luis Sepúlveda et Daniel Mordzinski. Traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg. Métailié, 190 pages.