La créativité n'est pas que le fruit du hasard, ou encore, un don que certains auraient reçu à la naissance. La créativité serait aussi un muscle qui se travaille, nous dit Jonah Lehrer dans son excellent essai Imagine: How Creativity Works.

Tout comme Malcolm Gladwell nous expliquait dans son livre Outliers qu'il fallait 10 000 heures pour exceller dans quelque chose - un sport ou un instrument de musique -, Jonah Lehrer nous dit qu'il faut de la persévérance avant de crier «eurêka!». «Prenez l'écrivaine J.K. Rowling, elle était obstinée. Elle a essuyé des dizaines de refus des maisons d'édition avant que son Harry Potter ne soit finalement accepté par un éditeur. Oui, il faut du talent, mais il faut aussi y mettre du temps», explique l'auteur rencontré à Montréal il y a quelques semaines lors de son passage à la conférence C2-MTL.

Picasso disait qu'il essayait de retrouver son regard d'enfant quand il peignait. Lehrer confirme que plus on est jeune, plus on est créatif.

«Plusieurs sondages ont été menés auprès des enfants, explique Jonah Lehrer. À 7 ans, lorsqu'on leur demande s'ils sont créatifs, 95% des enfants répondent oui: j'aime dessiner, bricoler, etc.. À 11-12 ans, cette proportion chute de moitié. À l'âge de 17 ans, 95% des jeunes estiment qu'ils ne sont pas créatifs. C'est vraiment triste. Il est important de les laisser tomber amoureux d'une passion créatrice et les encourager à poursuivre. Pour cela, il faut que les enfants puissent rêver éveillés et disposer de temps à ne rien faire.»

Dans Imagine, Jonah Lehrer insiste beaucoup sur ce «temps volé», ces minutes ou ces heures où on laisse l'esprit vagabonder. «Des recherches indiquent que les enfants atteints d'un trouble de l'attention seraient plus créatifs car leur esprit papillonne plus librement, ce qui leur permet de faire des associations que d'autres ne feraient pas», souligne l'auteur qui signe également une chronique dans les pages du Wall Street Journal.

Or, nous le savons bien, ces moments de rêverie sont de plus en plus rares dans nos vies. Bombardés que nous sommes d'information, accrochés à nos téléphones mobiles et intelligents, nous gavons nos cerveaux d'information jusqu'à plus soif. Jonah Lehrer croit qu'il faut se débrancher de force quelques minutes quotidiennement si on veut réussir à libérer notre esprit. «Je prends une marche tous les jours et je laisse mon téléphone à la maison, dit-il. Bien sûr, je suis nerveux lorsque je le fais car je ne peux pas vérifier mes courriels, mais je sais que c'est important. La douche est également un bon endroit pour rêvasser car c'est le seul endroit où on ne traîne pas notre téléphone. En fait, il faut libérer du temps pour perdre du temps.»

Étonnamment, l'auteur d'Imagine ne croit pas aux bienfaits du brainstorming, ces séances de brassage d'idées qui sont pourtant utilisées dans la plupart des entreprises lorsque vient le temps d'accoucher d'une nouvelle idée. «Dans un brainstorming, on n'ose pas toujours dire ce qu'on pense vraiment, estime-t-il. On veut ménager les susceptibilités de chacun, on n'ose pas critiquer. C'est la technique utilisée pour que tout le monde se sente bien mais ça ne marche pas. Par contre, la collaboration est importante. Elle permet d'organiser le chaos, de raffiner nos idées.»

L'occasion était belle de demander à Jonah Lehrer qu'il commente la crise que traversent les médias. Comment faire preuve de créativité lorsque votre industrie traverse une crise majeure? «Je crois que la solution à la crise que traversent les journaux ne viendra pas des médias eux-mêmes mais de l'extérieur, affirme Jonah Lehrer. Lorsqu'on frappe un mur, il y a un sentiment de panique et c'est le moment le plus difficile pour prendre une décision éclairée. Il faut du recul pour avoir une bonne idée.»

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Imagine: How Creativity Works. Jonah Lehrer. Houghton Mifflin Harcourt, 2012, 304 pages.