Roman après roman, les amantes changent de nom, mais c'est toujours la même lumière, le même rythme, la même vitalité contagieuse. Cette joie, surtout, qu'on confond avec l'arrogance, et qui traverse tout. Nul désespoir puisque «les tableaux et les manuscrits sont là. Les livres se lisent eux-mêmes, les tableaux effacent ceux qui ne les voient pas». Remarquez que les tableaux précèdent les manuscrits; il faut savoir voir avant de lire. Savoir vivre avant d'interpréter...

C'est le roman de la soeur, Anne, c'est le roman de l'amante Lucie, qui rappelle Anne, dans cet amour qui est toujours quelque chose de dérobé, de clandestin et d'interdit chez Sollers, d'incestueux bien sûr, sans quoi l'amour véritable n'existe pas. Mais ce sont ces femmes, ces soeurs, qui le mènent vers des frères - Manet, Picasso, Casanova - dans une enivrante filiation.

On pourrait dire que L'éclaircie est un «roman-essai», mais c'est tout simplement du Sollers, c'est-à-dire une promenade vivifiante - on ne pense bien qu'en marchant, pensait Nietzsche - dans la beauté des oeuvres et des lieux imprégnés d'arts. Ce que font régulièrement les «voyageurs du temps», qui ne choisissent QUE ce qui compte vraiment, et qui font du présent un perpétuel enchantement.

Pour cela, il faut, comme Casanova, grand frère adoré de l'écrivain - qui par Lucie vit de l'intérieur l'achat des célèbres manuscrits, il n'y a pas de hasard! -, «suivre le dieu». Comme Manet, comme Picasso, comme Sollers bien sûr, qui ne nous fera pas le coup de la fausse modestie. Il fait partie des génies, il n'en doute pas, il s'aime beaucoup, mais sa manière de s'aimer est plus agréable à lire que la plupart des auteurs qui nous infligent leurs flagellations.

Au plus noir du monde, ce qu'on doit chercher, c'est l'éclaircie, que rien ne peut empêcher, même que la noirceur est ce qui permet cette éclaircie, car sans elle, on ne trouverait pas les trésors. Parce qu'«un seul tableau, un seul livre vous sauvent, eux, de l'avalanche du rien».

Qu'on soit d'accord ou pas avec les visions de Sollers, ce qu'il y a de séduisant chez lui, c'est ce regard résolument tourné vers la lumière, et il n'en démord pas, livre après livre, nous remettant en pleine figure ce qu'il y a de plus évident, et qu'on feint d'oublier, comme Paris est «cette ville qui fait semblant d'être morte». Sollers, le dernier des Parisiens, comme le dernier des Mohicans. Ça ne se résume pas, ça se lit, point.

L'éclaircie

Philippe Sollers

Gallimard, 236 pages

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