Ancien journaliste sportif à Libération puis correspondant de guerre, Jean Hatzfeld mêle dans ce troisième roman ses deux passions. Le narrateur, Frédéric, est de ces journalistes qui vont d'une zone de conflit à l'autre. Chaque année, il retourne dans le désert éthiopien, où la guerre semble ne jamais devoir prendre fin. Il y fait la rencontre d'un grand soldat mal à l'aise sur ses jambes: Ayanleh Makeda, ancien marathonien double champion olympique, dans la lignée des légendaires Abebe Bikila et Haile Gebrselassie.

Comment cet Éthiopien d'une famille de paysans est-il devenu un athlète adulé par les foules des JO d'Athènes et de Sydney, pour échouer ensuite dans cette guerre absurde? C'est ce que Frédéric tente de comprendre, interrogeant ceux qui l'ont côtoyé quand il vivait à Paris, recruté par un homme d'affaires kazakh qui en avait fait la vedette de son club d'athlètes. Le marathonien des hauts plateaux n'en demandait pourtant pas tant, qui ne courait pas derrière l'argent, mais pour «perpétuer un geste ancestral» et pour «le plaisir de traverser l'espace», heureux d'arriver toujours en tête de l'épreuve.

C'est cette «mythologie moderne» des marathoniens africains que Hatzfeld raconte, fasciné par cette Éthiopie à l'histoire si riche, qu'il décrit amoureusement dans une langue élégante et précise. Le narrateur est à peine un personnage, plutôt un passeur, flâneur et observateur des mondes étrangers. Cela donne un roman qui relève tout autant du journalisme d'enquête, racontant la marchandisation et la recherche effrénée de la performance qui minent la culture du sport.

Le roman s'étirant, l'on s'agace un peu de ce regard occidental sur cette région «berceau de l'humanité», où les personnages semblent toujours sages face aux injustices de la vie. On accuserait Hatzfeld de naïveté s'il n'était l'auteur d'Une saison de machettes, récit dans lequel il faisait parler les Hutus «coupeurs» de Tutsis au Rwanda. Malgré ce défaut, le récit demeure passionnant, tant sur le monde du sport que sur l'Afrique.

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Où en est la nuit


Jean Hatzfeld

Gallimard, 218 pages

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