Dans ce roman magistral qu'est Zone, fait d'une seule phrase s'étirant sur 500 pages, Mathias Énard couvrait le temps d'un voyage toutes les guerres européennes. Il ne nous refait pas le coup dans L'alcool et la nostalgie, bien qu'il soit question encore une fois d'un voyage en train.

Cet étonnant petit bouquin, adapté d'une fiction radiophonique, parle plutôt d'une catastrophe intérieure. En ramenant le corps de son ami Vladimir, de Moscou à Vladivostok, le narrateur, qui se nomme Mathias, se remémore le triangle amoureux de sa jeunesse, qui le liait à Vladimir et Jeanne, amour intense fait de littérature, de drogue et d'alcool, et d'une fascination pour cette Russie éternelle.

«J'ai pensé que nous étions des poupées russes, nous trois. Emboîtées pour toujours les unes dans les autres, inutiles au-dehors, ouvertes en deux et vides.»

Récit halluciné et déchirant, empreint d'une douleur profonde, L'alcool et la nostalgie mêle la tendresse et la tristesse d'une jeunesse maladroite et rêveuse. Mathias est avide d'une liberté qu'il n'a connue que dans les livres.

Hélas, «Pour brûler dans le monde, nous n'avions plus de révolution, il ne nous restait que l'illusion du voyage, de l'écriture et de la drogue». Ces trois écorchés vifs que sont Mathias, Vladimir et Jeanne nous hantent bien longtemps après avoir terminé le livre la faute à Énard, qui sait si bien décrire le spleen lancinant de ces enfants perdus dans la froideur sibérienne du monde.

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L'ALCOOL ET LA NOSTALGIE. MATHIAS ÉNARD. INCULTE, 87 PAGES.