Don DeLillo, qui nous a donné les romans-fleuves Americana et Outremonde, poursuit son exploration de la psyché américaine de façon un peu plus concentrée depuis quelques années, dans de courts romans où sont à l'oeuvre les mêmes obsessions.

En particulier celles de l'image, qui atteint dans Point oméga un paroxysme. Inspiré par 24 Hour Psycho de l'artiste Douglas Gordon -le classique de Hitchcock ralenti et projeté en 24 heures- Point Omega interroge le temps, son influence sur notre vision du monde et de la vérité. L'expérience pratiquement mystique du visionnement de 24 Hour Psycho par des visiteurs anonymes, premier et dernier chapitres, enferme le récit principal -ainsi que le lecteur- dans une atmosphère de révélation. Entre les deux, l'étrange relation qui se tisse entre un jeune cinéaste et Richard Elster, «philosophe» du Pentagone spécialiste de la «loi de l'extinction», qui rêvait de créer une «guerre haïku», en trois vers.

Le cinéaste veut filmer, sur un mur nu, un homme qui dira toute la vérité, dans un seul plan-séquence. Elster parle, mais résiste au projet, sa fille arrive, puis disparaît, tuant dans l'oeuf le film qui ne se fera pas. Dans son discours métaphysique, Elster a quelque chose du colonel fou incarné par Marlon Brando dans Apocalypse Now, mais il prêche dans le désert -littéralement. Pour lui, «tout est englué», les minutes et les heures en particulier, et la conscience est à bout de force: nous voulons tous redevenir des «pierres dans un champ». «Il se fait un interminable compte à rebours, dit-il. Quand on déblaie toutes les surfaces, quand on regarde bien, ce qui reste, c'est la terreur. C'est la chose que la littérature était censée guérir.» Et DeLillo, passé maître dans l'art de disséquer et distiller cette terreur, ne pourrait le contredire... Point oméga refermé, un profond malaise demeure, comme si nous sortions d'une hypnose. En fait, nous sortons de Psychose rendu dans toute sa vérité, puisque le cinéma (et la littérature) ne sont au fond que du temps...

Point oméga

Don DeLillo

Actes/Sud Leméac, 139 pages