L'art, la consommation, les médias, la politique, rien n'était à l'épreuve du Barthes décrypteur de mythes. Aux textes ironiques et grinçants du redoutable mythologue viennent désormais s'ajouter une mine de documents qui ne seront pas de trop pour se plonger avec bonheur dans le contexte historique de l'écriture des Mythologies (entre 1954 et 1956).

Ils viennent prouver, s'il était nécessaire, que Roland Barthes n'invente rien. L'apparente banalité de certains (affiches électorales, photos à première vue «innocentes») rend encore plus frappante l'acuité de son regard de sémiologue: les signes ne demandaient qu'à être lus. Paris inondé, une catastrophe? Non, un mythe heureux, celui de l'arche de Noé. De la cuisine ornementale à l'écrivain en vacances, des Martiens au strip-tease, en passant par l'horoscope... Jusqu'à l'abbé Pierre, dont la coupe franciscaine, la barbe missionnaire, la canne du pèlerin sont qualifiées de «bric-à-brac de l'apostolat»: le public consomme les signes de la charité sans questionner la réalité de la justice.

Ce que Barthes dénonce, c'est le stéréotype, la pensée immobile, figée dans une doxa. Les coupables, c'est la petite bourgeoisie, classe installée, qui prend sa condition historique pour une Nature, incapable d'imaginer l'Autre autrement que comme elle-même et fière de son «bon sens». Au-delà, c'est l'anti-intellectualisme que fustige Barthes dans ces fragments engagés à gauche, car cette mythologie était, à cette époque d'avant Mai 68, forcément de droite. Ce précieux livre, grâce à une iconographie très riche, rend encore plus stimulante la lecture des mythes des années 1950 et partant, permettra d'avoir mieux à l'oeil ceux qui nous entourent.

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Mythologies. Roland Barthes. Seuil, 252 pages, 59,95 $.