La cigale mâle chante pour inviter la femelle à s'approcher, mais son chant incite aussi d'autres mâles à chanter. Aujourd'hui âgé de 85 ans, Hubert Nyssen aime toujours inviter les femmes à venir réfléchir et débattre avec lui dans son «grenier» de Provence, mais son chant si érudit et le charme en découlant lui valent les visites de bien d'autres admirateurs.

Hubert Nyssen, écrivain et fondateur des éditions Actes Sud, coule ses vieux jours dans son mas provençal du Paradou. La Presse l'a joint par téléphone pour l'entretenir de son journal de l'année 2009 publié sous le titre À l'ombre de mes propos, par Leméac/Actes Sud, et qui parle de ses occupations de retraité éclairé.

 

«Une des grandes joies de ma vie actuelle, c'est qu'il ne se passe pas un jour sans que j'aie de la visite et en plus, quand c'est des femmes, ça me comble, dit-il. Je me suis toujours mieux entendu avec les femmes qu'avec les hommes. C'est un plaisir inimaginable. Cet après-midi, j'ai une vieille amie archéologue qui va passer. Il y aura trois secondes pour dire comment tu vas et ensuite elle va parler archéologie et moi, littérature et philosophie.»

Ces rencontres qui ont parsemé la vie professionnelle et personnelle d'Hubert Nyssen sont aussi présentes dans le quotidien de son écriture que les cigales dans la région arlésienne. Elles en forgent la substance du récit et sont une musique de l'esprit.

Quatrième volume de son journal personnel, À l'ombre de mes propos ravira tous ceux qui ont vécu tant de bonheurs à découvrir ces hommes et ces femmes de lettres qu'il a fait publier chez Actes Sud, maison d'édition qu'il a fondée en 1978, et tous ceux qui ont été captivés par les trois tomes de L'éditeur et son double, ses 15 romans et presque autant d'essais.

Dans son journal 2009, il évoque ici Nancy Huston, l'amie «aux discussions si riches», là Nina Berberova, une des grandes découvertes d'Actes Sud, ou encore Paul Auster, tous des auteurs majeurs dont il a contribué à révéler le sens.

On ne se lasse pas de cette prose qui nous invite à découvrir l'homme en même temps que l'intellectuel et à croire soudain qu'on aura le temps avant de mourir de lire tous ces auteurs non francophones qu'Actes Sud a révélés. Souvent obscurs, mais toujours pertinents.

Mélange de raffinement, de culture et d'émerveillement, l'écriture d'Hubert Nyssen est leçon d'existence et inspiration. Le sage du Paradou a l'humanisme discret et un regard qui semble émaner d'une gauche française qui ne semble plus incarnée.

Il a d'ailleurs des mots très durs sur la «Sarkozie», cette France qu'il dit devenir «petite et ridicule». Et sur la littérature française, son jugement est impitoyable: «Le roman français, c'est devenu de l'accordéon.»

L'écriture est d'intérêt quand elle a un cadre, dit Hubert Nyssen. Et le cadre de ce livre est comme la lentille d'une caméra: elle instruit le lecteur du paysage environnant: les oiseaux, la chaleur, les déjeuners au jardin, sous un platane, et ce mistral qui souffle jusqu'à travers les mots. L'écriture est plaisante comme des souvenirs d'enfance suspendus sur le fil de la mémoire en équilibre avec la vivacité de l'esprit.

«Si j'écris ici chaque jour, c'est pour ne pas en perdre l'habitude, écrit-il. Pour ne pas céder aux irrésolutions qui conduisent au silence, pour dresser un barrage contre les vagues du déclin, pour empêcher que les rouages se grippent, pour rouvrir les yeux sur l'insoupçonnable, pour arroser le désir avec des mots qui lui rendent des couleurs (...), pour avoir des enfants avec les mots.»

Hubert Nyssen aime dire qu'il a passé l'âge d'être vieux - expression d'un autre auteur. Il considère la mort, qu'il a si souvent côtoyée dans ses livres, comme une fatalité à considérer avec sérénité: «Je suis dans le train, on verra quand on me priera de descendre.» Que soient longues encore les voies de l'écriture...

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À l'ombre de mes propos - Journal de l'année 2009. Hubert Nyssen. Leméac/Actes Sud, 120 pages.