Elle a quelque chose du narrateur des Carnets du sous-sol de Dostoïevski, la bibliothécaire de La cote 400 de Sophie Divry, qui signe ici son premier roman aux Allusifs. Solitaire et amère, elle profite de l'oreille d'un pauvre lecteur qui s'est endormi dans ses rayons pour lui déverser son trop-plein, présenté ici sous la forme d'un soliloque plutôt rageur, parfois pathétique, souvent comique, comme dans le roman de Dostoïevski.

Elle travaille d'ailleurs dans le sous-sol de la bibliothèque, dans la «classe prolétarienne» du livre, le secteur fourre-tout des sciences, de la géographie, de l'informatique, des dictionnaires et des guides de voyage, loin de la noblesse de la littérature française et de l'histoire. Mais, bien que souffrant de son statut, elle ne remet pas en cause la hiérarchie, ça ferait désordre - il faut être obsédé par l'ordre pour faire ce métier. On finit par apprendre qu'elle a survécu à un deuil amoureux grâce aux livres. Il y a bien ce jeune homme, qui semble si intelligent, et dont la nuque est si belle, qui lui fait de l'effet, mais «moi, j'ai besoin de grandes choses, dit-elle. Alors les hommes, c'est fini. L'amour, je le trouve dans les livres».

Une cote vacante

Son saint patron est Melvil Dewey, l'inventeur du système de classification des livres dont on se sert toujours aujourd'hui dans les bibliothèques. Mais depuis que les langues sont allées rejoindre la cote 800, la cote 400 est vide. Ce qu'elle trouve insupportable. Une aberration. «Moi, cela me donne le vertige, cette cote vacante. Qu'est-ce qui viendra l'occuper? Quel domaine de la culture et du savoir humain, que nous n'estimons pas à sa juste valeur, viendra plus tard en prendre possession? Je préfère ne pas penser à cette cote creuse, ça me fait peur.»

Parce qu'elle considère que l'entrée d'un livre dans une bibliothèque devrait être une consécration. «Pas de pitié pour les mauvais livres», c'est sa devise, et elle serait prête à «trancher dans le gras» si on lui en donnait les moyens. «La culture, c'est un effort permanent de l'être pour échapper à sa vile condition de primate sous-civilisé.» La bibliothécaire a un petit penchant pour la dictature, on dirait. Mais son mal de vivre rejoint «tous ceux qui trouveront toujours plus aisément une place en bibliothèque qu'en société» auquel le livre est dédié. Car, après tout, «si les gens étaient heureux sur terre, ils n'écriraient pas autre chose que des recettes de cuisine et des cartes postales, et il n'y aurait ni livres, ni littérature ni bibliothèques».

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La cote 400. Sophie Divry. Les allusifs, 65 pages.