En fouillant la vie de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, l'essayiste féministe Elisabeth Badinter a découvert une femme on ne peut plus moderne: pouvoir, maternité, mariage, la mère de Marie-Antoinette, et de 15 autres enfants, a concilié travail-famille bien avant que le terme ne devienne à la mode.

Pourquoi vous être intéressée à Marie-Thérèse d'Autriche?

Elle a vécu de façon extrême - et toutes proportions gardées - la situation propre aux femmes du XXIe siècle, et c'est ce qui m'a excitée intellectuellement.

Aujourd'hui, les femmes ont une profession, elles veulent faire carrière, ont un, deux ou trois enfants, un compagnon... Ce triangle de la vie féminine, l'impératrice Marie-Thérèse l'a vécu. Les trois statuts qui étaient les siens se sont heurtés les uns aux autres et se sont contredits quelquefois. Je crois que c'est ce qui fait la modernité de cette femme.

C'était une femme qui aimait le pouvoir?

Oui, elle l'aimait comme un homme l'aime traditionnellement. Elle a été commandant en chef d'armée et a affronté des situations très périlleuses. C'est une guerrière, une femme à la fois extrêmement virile et extrêmement féminine. Elle réussit, pour l'époque en tous les cas, ce miracle d'exprimer les deux parties de notre bisexualité psychique et d'en faire une force alors que c'était vu comme une faiblesse.

On dit que l'impératrice Marie-Thérèse était une très belle femme et qu'elle n'hésitait pas à user de sa beauté.

Jeune, elle était séduisante, elle avait du charme et savait parler aux gens, les ensorceler ou pleurer en public pour les influencer émotivement. Il faut dire qu'elle était une actrice unique. Les femmes aujourd'hui ne peuvent pas utiliser ces armes, cela se retournerait contre elles.

Pour qu'une femme de pouvoir soit prise au sérieux de nos jours, il faut qu'elle soit dans la neutralité ou, au mieux, qu'elle incarne quelque chose de maternel pour que les hommes n'aient pas peur.

À qui pensez-vous en disant cela?

De Golda Meir à Hillary Clinton en passant par Angela Merkel, elles sont toutes contraintes à cette neutralité sexuelle tant le poids des sexes pèse encore. Je suis frappée quand je regarde Mme Merkel, une femme très populaire en Allemagne et en Europe, qui porte toujours le même uniforme. Elle a mis sa féminité de côté, c'est mutti, l'image de la mère. C'était la même chose avec Hillary Clinton.

Est-ce exagéré de dire que Marie-Thérèse était féministe avant l'heure?

Disons qu'elle a un «côté» féministe. Quand elle est arrivée au pouvoir, à 23 ans, elle a déclaré que les femmes n'avaient pas à se mêler de politique. Mais une dizaine d'années plus tard, elle a dit: «Pourquoi exclure les femmes quand elles sont aussi compétentes que les hommes, ce serait vraiment injuste.» Par contre, en vieillissant, elle s'est enfermée dans une bigoterie épouvantable, vraiment contraire aux libertés des individus.

En quoi est-elle inspirante pour les femmes d'aujourd'hui?

Elle était un peu la précurseure de quelque chose.

Il a fallu attendre un peu plus de deux siècles pour que les femmes ordinaires que nous sommes se retrouvent avec des problèmes similaires aux siens de conciliation. Je crois que la leçon à tirer de sa vie, c'est qu'il ne faut jamais reculer, que quand on a une ambition professionnelle et qu'on a envie de faire quelque chose, il faut y aller, il faut assumer, persévérer.

Au fond, la situation des femmes n'a pas évolué tant que ça?

Au bout du compte, je crois que les femmes sont en train de gagner. La révolution féministe s'est faite sans schlague et sans goulag. On ne peut pas entrer en guerre contre les hommes, on ne va pas tuer les hommes, ce n'est pas du tout le propos du féminisme. Le but, c'est de faire changer les mentalités des hommes et, donc, ça ne peut se faire que très doucement et lentement. 

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Le pouvoir au féminin - Marie-Thérèse d'Autriche, 1717-1780. Elisabeth Badinter. Flammarion, 368 pages.

Image fournie par Flammarion

Le pouvoir au féminin - Marie-Thérèse d'Autriche, 1717-1780, d'Elisabeth Badinter