«La raison pour laquelle ce livre est écrit par un bipède au corps en partie poilu et non par un organisme porteur d'écailles a beaucoup plus à voir avec la malchance des dinosaures qu'avec un quelconque mérite des mammifères.»

Le ton est donné. Le sujet du livre d'Elizabeth Kolbert, journaliste du New Yorker, est on ne peut plus sérieux et dramatique. On y explique méthodiquement comment l'homme est en train de semer les graines de sa propre extinction (il s'agirait de la 6e de l'histoire de notre planète). Mais on l'explique à la façon d'un roman policier raconté par une journaliste à l'esprit vif et au sens de l'observation aiguisé.

Car c'est une véritable enquête à laquelle nous fait participer Elizabeth Kolbert. Elle se rend aux quatre coins du monde à la recherche d'indices qui lui permettent de décrypter la menace qui pèse sur la planète.

Elle nous conduit par exemple jusqu'à une île située à quelques dizaines de kilomètres de l'Australie pour témoigner de la disparition des récifs de corail et nous expliquer pourquoi il s'agit d'une catastrophe. On la suit aussi jusqu'en mer Tyrrhénienne, où se trouve un endroit cher aux scientifiques, car il permet de calculer l'impact qu'auront sur les océans les changements climatiques. Parmi plusieurs autres arrêts: le Panama, pour constater à quel point les grenouilles sont décimées, et la Nouvelle-Angleterre, épicentre d'une hécatombe chez les chauves-souris.

Tout au long de cette aventure fort peu ordinaire, on croise une galerie de personnages aussi passionnés que colorés. Un spécialiste de l'écologie forestière qui «parle des plantes comme d'autres des vedettes de cinéma». Un ornithologue qui peut reconnaître toutes les espèces d'oiseaux amazoniens par leurs cris. Ou encore un mordu des mammifères à trompe qui présente à la journaliste «la Joconde de la paléontologie»: une dent de mastodonte.

Chacun de ces scientifiques ajoute une preuve au dossier d'Elizabeth Kolbert. Ils démontrent un à un que, non, il n'y a pas de doute possible, l'être humain met en danger chaque jour un peu plus sa «propre survie».

La 6e extinction est une lecture parfois exigeante, qui constitue néanmoins un formidable et fascinant travail de vulgarisation. L'ouvrage tombe à point nommé, alors que s'ouvrira à Paris fin novembre une conférence cruciale sur le climat.

Bref, ne laissez pas l'horrible couverture jaune de ce livre vous décourager. Si c'était un roman, on pourrait dire que c'est du grand art. On se contentera d'affirmer qu'il s'agit d'un des essais de l'année. Et de souligner qu'on comprend pourquoi l'homme le plus puissant du monde, Barack Obama, a choisi de partir en vacances l'été dernier avec ce livre dans ses bagages.

Un tour du monde en cinq extraits

Découvrez cinq endroits visités par Elizabeth Kolbert dans le but de démontrer que «notre monde agonise».

One Tree Island, Australie

«Peu de temps avant leur séjour à One Tree Island, Caldeira et quelques-uns des membres de son équipe avaient publié un article dans lequel ils essayaient de prévoir quel serait l'avenir des récifs [de corail], en se fondant à la fois sur des modèles informatiques et sur les données recueillies sur le terrain. Ils concluaient que si les rejets de gaz carbonique continuaient au même rythme qu'actuellement, dans les 50 prochaines années environ, "tous les récifs coralliens cesseraient de croître et commenceraient à se dissoudre".»

Réserve 1202 (près de Manaus), Brésil

«Après plusieurs tasses de café, nous nous sommes mis en route dans le but d'observer le défilé des fourmis. Lovejoy avait prévu venir avec nous, mais alors qu'il était en train d'enfiler une chemise à manches longues, une araignée qui y avait élu domicile l'a mordu à la main. [...] "La méthode idéale est de laisser les fourmis vous encercler, m'a expliqué Cohn-Haft tandis que nous marchions. Alors, il n'y a plus d'issue: c'est comme si vous étiez coincé dans une impasse. Les fourmis vont grimper sur vous et mordre vos vêtements. Vous serez alors au coeur de l'action."»

Mer Tyrrhénienne, au large de l'île Castello Aragonese

«Plus nous nous approchions des évents, moins nous rencontrions d'échantillons à collecter. Le nombre des oursins diminuait, de même que celui des moules et des cirripèdes. Maria Cristina Buia a trouvé quelques malheureuses patelles attachées à la falaise. Leur coquille était tellement détériorée qu'elle était devenue presque transparente. Des méduses sont passées à côté de nous légèrement plus claires que la mer. [...] Depuis le début de la révolution industrielle, la quantité de combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) brûlés par l'homme a ajouté quelque 365 milliards de tonnes de carbone à l'atmosphère.»

Parc national de Manú, Pérou

«Reprenant le chemin, Silman se frayait un passage à coups de machette, s'arrêtant de temps à autre pour désigner une nouvelle curiosité botanique, comme un arbrisseau dérobant de l'eau à ses voisins en pointant vers eux des racines semblables à des aiguilles. Ce scientifique parle des plantes comme d'autres de vedettes de cinéma. Il m'a décrit un arbre en le qualifiant de "charismatique". D'autres étaient "cocasses", "extravagants", "chouettes", "astucieux" ou "stupéfiants".»

Cincinnati, États-Unis

«La première vision que j'ai eue de Suci a été celle de son prodigieux arrière-train. Il mesurait environ 1 mètre de large et était parsemé de poils rudes et rougeâtres. Sa peau d'un brun rouge avait la texture d'un linoléum granuleux. Suci, un rhinocéros femelle de Sumatra, vit au zoo de Cincinnati où elle est née en 2004. L'après-midi où je lui ai rendu visite, plusieurs autres personnes se pressaient autour de son impressionnante croupe. Elles tapotaient celle-ci affectueusement, je me suis donc approché pour les imiter. J'ai eu l'impression de caresser un tronc d'arbre.»

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La 6e extinction - Comment l'homme détruit la vie. Elizabeth Kolbert. Guy Saint-Jean Éditeur, 400 pages.