Mousquetaires du rire décapant, méchant, «tarla», engagé et libérateur, les Cyniques ont été les pères fondateurs de l'humour québécois contemporain, le temps d'une décennie, de 1962 à 1972. Les anciens étudiants sont désormais objet d'études: une intéressante brique de 500 pages est publiée chez Triptyque à leur sujet.

«Disons qu'en 1961, on était loin d'imaginer qu'on serait matière à étude un jour», convient Marc Laurendeau, au lendemain d'une nuit quasi blanche. C'est que le journaliste de carrière l'a passée, cette nuit, à relire une ultime et méticuleuse fois les épreuves du livre Les Cyniques - Le rire de la Révolution tranquille.

Méchant contrat: c'est un pavé, ce livre composé d'une très large sélection des textes comiques et mordants écrits par le quatuor (environ 80% des sketchs du groupe), de nombreuses photos, de plusieurs inédits, d'une histoire de l'humour politique et anticlérical au «Canada français», d'une revue de presse et de sept études sur le phénomène des Cyniques!

«On a été surpris quand Louise Richer et l'Observatoire nous ont proposé que les Cyniques soient le sujet du premier cahier, explique Marc Laurendeau, et on a hésité et discuté beaucoup avant d'accepter, André [Dubois] et moi. Est-ce que ça allait être efficace, nos textes, sur papier? Est-ce qu'on allait détruire l'espèce d'aura comique des Cyniques? Que ce soit Robert Aird [historien de l'humour réputé] qui dirige le projet a été un facteur important de notre acceptation. Et comme nos textes sont chacun accompagnés d'une mise en contexte, ça devient une autre façon d'apprendre l'histoire, de revoir l'époque à travers les peintures qu'en faisaient les Cyniques.»

Car chaque sketch est en effet précédé d'une courte description des circonstances et des sujets traités. Bien pratique si on n'a jamais vécu sous la férule de l'Église catholique ou si on ne sait trop qui sont Sarto Fournier, le père Legault ou Claire Kirkland-Casgrain.

«C'est vrai que, contrairement à Yvon Deschamps ou à Clémence, nous, on nommait des gens», fait remarquer Marc Laurendeau avec un sourire gentiment carnassier...

Les Cyniques dans le texte

Bien sûr, la réédition en format CD des six «vinyles» des Cyniques, en 2010, aurait pu suffire pour mesurer le caractère iconoclaste et vitriolique du groupe: près de 50 000 exemplaires de ces albums ont d'ailleurs été vendus depuis leur sortie, score plus qu'honorable en cette ère de déclin du CD!

Mais ce gros livre va au-delà, en tant qu'ouvrage de réflexion et de recherche.

«Au départ, il devait être publié en deux volumes, explique Lucie Joubert, codirectrice de la publication. On savait que les sketchs et les études n'avaient pas forcément le même lectorat, que c'était un amalgame peu évident... Mais comme l'Observatoire de l'humour est une association hybride, qui rassemble des chercheurs et des humoristes, on trouvait que l'idée d'un livre hybride se justifiait.»

C'est même ce qui fait la force de ce premier cahier de l'Observatoire. Aux côtés des textes à la fois impertinents et pertinents des Cyniques, on peut lire l'intéressant chapitre que Robert Aird consacre à l'humour «engagé» au Québec: 120 ans se sont écoulés entre les propos satiriques anticléricaux de Napoléon Aubin et ceux des Cyniques!

Une étude de Lélia et de Michèle Nevert se penche de son côté sur la langue utilisée par le quatuor. Une autre, signée Luc Boily, dresse l'impressionnante liste des procédés humoristiques employés par l'infâme quatuor. Il y en a sept, de ces études, et Lucie Joubert s'est intéressée au thème «Les Cyniques, le sexe et les femmes».

«Mon hypothèse, explique la chercheuse, c'est que les Cyniques sont des hommes de leur temps, qui sombrent dans le grossier dès qu'il s'agit des femmes, obsédés par exemple par les «grosses» et qui réduisent souvent leurs personnages féminins à leurs fonctions corporelles (la danseuse, la cochonne, la grosse, etc.). Ça peut heurter aujourd'hui, mais quand on recontextualise, on peut faire la part des choses: ces textes-là ont été écrits dans un autre monde, littéralement! C'est courageux de la part des Cyniques d'accepter que ces textes soient publiés aujourd'hui, ça permet justement de mesurer le chemin parcouru, tant mieux si on est rendu plus loin.»

Même constat pour l'humour pratiqué envers les homosexuels.

«On aurait pu ne pas mettre ces textes, explique Laurendeau, mais ce serait oublier qu'à l'époque, c'était tabou, juste dire à voix haute le mot «homosexuel» sur une scène ou parler de ce que faisaient les prêtres dans l'intimité et de l'omniprésence du clergé. Nous, on en parlait. Le cours sur le racisme aussi, on aurait pu ne pas le mettre, mais on a décidé de le publier parce que ça traduit un moment de notre histoire.»

C'est ce qu'on appelle de l'humour vexatoire, l'antidote parfois amer de la rectitude politique...

On l'aura compris, ce Cahier ne fait donc pas dans l'hagiographie ni dans l'ouvrage édulcoré au goût du jour. Marcel Saint-Germain et Serge Grenier n'étant plus de ce monde, André Dubois et Laurendeau ont travaillé de concert.

Le lancement des Cyniques - Le rire de la Révolution tranquille aura lieu à la fin novembre, à l'occasion du colloque «L'humour sens dessus dessous», à l'UQAM, dans le cadre du 25e anniversaire de l'École nationale de l'humour.

LES CYNIQUES - LE RIRE DE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE

Anthologie suivie d'études dirigées par Robert Aird et Lucie Joubert

Triptyque, 500 pages

En librairie le 7 novembre