Demain on célébrera les 30 ans de la mort de Georges Brassens, et une floppée de livres sur l'homme de Sète viennent marquer le coup. Parmi ceux-là, Brassens intime, de Pierre Cordier, qui l'a connu à 19 ans et qui non seulement l'a côtoyé de près, mais l'a aussi photographié et enregistré.

Oui, mais jamais, au grand jamais

Son trou dans l'eau n'se refermait

Cent ans après, coquin de sort!

Il manquait encor.

On songe à ces mots des Copains d'abord en parcourant ce livre, qui évoque le grand vide laissé par le poète dans la vie de Pierre Cordier. «Je pense à lui tous les jours, nous raconte depuis la Belgique l'auteur et artiste visuel âgé de 78 ans. Il y a toujours un moment dans une journée où je me demande ce qu'il aurait pensé, comment il aurait réagi, s'il se serait foutu de moi...»

Leur rencontre en 1952 à Bruxelles, au moment où le chansonnier commençait à construire sa légende, a été déterminante pour le jeune Pierre Cordier. Pendant 30 ans, les deux hommes ont partagé passion du jazz, rigolade, amitié et des bribes de quotidien.

Pierre Cordier a donc fait un livre très personnel et s'attarde très peu sur la carrière et l'oeuvre formidables de Georges Brassens. «Il y a trois mètres de livres sur Brassens dans les librairies, ils disent tous la même chose!» À la fois hommage et témoignage, le sien est truffé de souvenirs, d'anecdotes et de photos inédites. Il l'a photographié dès leur première rencontre - «C'est vrai que j'ai été bien inspiré!» - et a aussi enregistré certains moments avec copains et musiciens, retranscrits ici comme si on y était. «La différence entre mon livre et les autres? Dans le mien, il y a le vrai Georges. Si les gens n'en veulent pas, tant pis. Ils devront se contenter du Georges débonnaire, le grand-papa avec sa pipe et ses cheveux blancs qui assène des sentences philosophiques.»

Son Brassens à lui est plus anarchiste, un «faux ours» qui s'était créé un personnage bourru pour tenir les gens à distance, mais entouré d'une garde rapprochée d'amis fidèles. «Georges mettait l'amitié au-dessus de l'amour, de tout. Il disait que l'amitié demandait «juste un peu d'entretien».» L'humour tenait le haut du pavé dans le petit groupe, dans un esprit «potache» qu'on retrouve tout le long de Brassens intime: manifestement, ils se sont beaucoup marrés. «Qu'est-ce qu'on a fait les couillons!», dit en riant Pierre Cordier. C'est de cet humour qu'il se souvient le plus, ainsi que de la grande générosité de son ami. «Georges croyait au partage, et quand il avait de l'argent, il le distribuait.»

Pierre Cordier affirme qu'il aurait probablement suivi sa voie d'artiste sans Brassens, qui ne s'intéressait pas beaucoup aux arts visuels. Mais il aura été un modèle dans sa façon d'être lui-même. «Sa façon de vivre, son attitude m'ont influencé. Je pense que les jeunes peuvent sentir ça aussi en écoutant ses chansons, cette idée qu'il avait de la vie, le fait qu'il ait tout sacrifié pour ses chansons.»

Brassens aura laissé en héritage une oeuvre qui a fait évoluer la langue française, estime Pierre Cordier - il note d'ailleurs dans son livre que Brassens préférait déterrer des mots oubliés plutôt que de créer des néologismes. «Dans cette époque où la langue se liquéfie avec les SMS et les abréviations, peut-être que les gens n'en ont plus rien à cirer. Mais la langue française a été enrichie par Georges Brassens.»

Brassens intime

Pierre Cordier

Éditions Textuel, 128 pages