L'an dernier, le pape Benoît XVI a publié un livre sur Jésus. Sa réflexion a constitué un événement dans les milieux catholiques. Cet automne, une version plus léchée, avec plus d'une centaine de reproductions de toiles de grands maîtres choisies personnellement par le pape allemand, envahit les librairies en visant un public plus vaste.

Ce choix iconographique très riche séduira même ceux que laissent indifférents les propos très proches des Évangiles. Les histoires des Testaments font après tout partie de la culture commune. Comment ne pas s'émouvoir devant la Vocation de Saint Matthieu du Caravage, qui rappelle la force que l'on ressent quand on trouve sa voie? Ou devant le père consolant le Fils prodigue du peintre bolognais du XVIIe siècle Guercino, à l'heure où l'ingratitude des jeunes fait les manchettes?

 

Cela dit, la thèse du pape jette un éclairage cru sur un débat fascinant: est-il nécessaire, afin de croire, d'enraciner le Jésus de la foi dans l'histoire des historiens? En d'autres mots, le Jésus qui a existé pensait-il, ou savait-il qu'il était le fils de Dieu? Les tirades de Benoît XVI touchent certains des plus grands débats du catholicisme moderne. Il aborde notamment la controverse du salut du «chrétien anonyme», la personne qui ignore tout du christianisme, mais ira au paradis parce qu'elle est bonne. Cette conception, honnie par les proches de Benoît XVI, rend caduque la nécessité de l'évangélisation, des sacrements et du respect de la liturgie.

Un passage en particulier a une résonance particulière pour le Québec, à cause des débats sur la religion à l'école et les accommodements raisonnables. «L'idée paraît séduisante: il apparaît envisageable que le message de Jésus puisse être enfin assimilé par tous sans que l'on doive pour autant faire oeuvre de missionnaire envers les adeptes des autres religions; la parole de Jésus semble à présent avoir finalement acquis un contenu pratique... Mais ce que l'on constate surtout, c'est que Dieu a disparu et que l'homme est seul à agir. Le respect des «traditions» religieuses n'est qu'apparent. En réalité, on les considère comme une somme d'habitudes qu'il faut bien laisser aux hommes même si, en dernière analyse, elles n'ont pas la moindre importance.»

Les spécialistes de la Bible n'ont pas accueilli l'ouvrage en tendant la joue droite. «La question centrale est le rapport entre le Jésus historique et le Jésus des Évangiles», explique François Nault, de la faculté de théologie de l'Université Laval, qui a publié l'an dernier un chapitre dans un ouvrage allemand sur le livre du pape. «Le livre veut faire table rase des dernières décennies de recherches sur la Bible. Les spécialistes ne l'ont pas très bien reçu.»

Par exemple, le cardinal milanais Montini a qualifié le livre de «témoignage», une formulation qui mine ses velléités académiques. «C'est une thèse extrême, qui dit qu'il n'y a pas de différence entre le Jésus historique et celui de la Bible. Il critique des chercheurs qui avaient la position contraire, que le Jésus historique n'a rien à voir avec celui de la Bible; mais c'est une position tout aussi extrême, qui est rare aujourd'hui.» C'est l'équivalent, selon M. Nault, de critiquer le nationalisme québécois en citant le FLQ.

À la base du problème se trouve l'écriture tardive des Évangiles, dans la deuxième moitié du premier siècle, donc bien après la mort de Jésus. Aucun témoignage direct n'a permis de contrecarrer le Christ des Évangiles, mais une analyse des textes montre qu'ils ne s'accordent pas tous. Notamment, souligne M. Nault, l'Évangile de Marc jette un doute sur la conscience qu'avait Jésus de sa divinité avec le passage suivant: «Pourquoi m'appelles-tu bon? Nul n'est bon que Dieu seul.»

Autre bémol, le pape a publié son livre en tant que théologien, sans se réclamer de l'infaillibilité papale, mais a permis qu'il soit signé Benoît XVI. «Ça crée une confusion, dit M. Nault. On hésite à critiquer la pensée du pape. Or, il a été professeur de théologie dogmatique et sa thèse a porté sur saint Bonaventure. Dans le cadre de son enseignement, il a donc pu enseigner la christologie, mais il n'a pas écrit d'ouvrages relevant expressément de cette sous-discipline de la théologie.»

Jésus

Benoît XVI - Joseph Ratzinger

Flammarion, 431 pages, 99,95$

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